Au cinéma, les suburbs sont des laboratoires miniatures où l’Amérique moyenne joue les cobayes. Le principe est invariable : derrière chaque porte, mur ou sourire se cachent secrets d’alcôves et monstres du quotidien. Flippante (Lynch), hilarante (Dante) ou sordide (Desperate housewives), la banlieue à l’écran sonde l’utopie communautaire en diabolisant votre voisinage. Avec Harcelés, Neil LaBute ne dévie pas de cette logique empirique. En emménageant à Lakeview Terrace, Chris et Lisa espéraient couler des jours paisibles loin du tumulte de la ville. C’était sans compter sur leur voisin afro-américain, un flic autoritaire et raciste qui désapprouve leur relation : il est blanc, elle est noire, c’est donc contre-nature. Alors que des feux de forêts menacent le quartier, la situation dégénère.
Modeste et bien troussée, cette petite série B se coltine le plus casse-gueule des sujets en slalomant entre les écueils. Bien qu’inversée (le stigmatisé est blanc), la question raciale y est posée de manière frontale, presque dépassionnée, prise d’avantage comme un drame du quotidien qu’avec des grands airs sociologiques. Le constat fait froid dans le dos sans pour autant trébucher sur de grands discours. Le manichéisme ? Désamorcé, enrayé par d’incessants changements de perspective. Harcelés varie les points de vue, passe du tortionnaire aux victimes, des victimes au tortionnaire, avec intelligence et un même souci d’empathie. Alors que tant d’autres se seraient retranchés derrière une posture moralisatrice et monolithique, Harcelés transige sur le fond comme dans la forme. Grande idée d’ailleurs que de jouer du capital sympathie de Samuel L. Jackson pour mieux désarçonner le spectateur : impossible de le haïr complètement, tout emmerdeur, flippant et raciste qu’il soit. Et puis, au fond, il agace ce couple de sitcom, avec ses petits mensonges, son intérieur propret et ses potes échappés d’une pub Benetton. Tout dépend ici de la fenêtre d’où l’on épie.
Neil LaBute n’en oublie pas pour autant les impératifs du thriller. Harcelés est comme un point de suture prêt à péter. Tout semble comme écrasé par un malaise souterrain, par un conflit d’autant plus angoissant qu’il sourd plutôt que d’éclater. Humiliations, coups bas, menaces à mots couverts : la peur émane moins des faits que de leur escalade. Le talent économe de LaBute fait le reste. Il lui suffit d’une longue focale pour faire dérailler un dialogue, d’un surcadrage pour déchirer un couple, d’un incendie pour relayer son propos. On n’oubliera pas de sitôt l’un des derniers plans sur Samuel L. Jackson, debout dans la nuit, barré au loin par les flammes, qui scrute fixement son voisin affolé. Prévisible au possible, le finale entame un brin l’enthousiasme en sacrifiant pour une fois à l’habitus de l’exercice. Mais cette concession aux réflexes vengeurs du genre a au moins un mérite : assainir l’intrigue sans pour autant affaisser l’ensemble.