Microfictions, publié en janvier l’année dernière, rompait avec la série des « romans de septembre » initiée en 2001 par Promenade – l’un des seuls marronniers d’automne qu’on s’impatientait de lire et dont on pouvait penser qu’il excusait à lui seul l’insipidité générale. Sur ce point, Lacrimosa renoue avec la tradition. Oeuvre intime (selon les conditions narratives usuelles de l’auteur), cette correspondance entre deux anciens amants est traitée avec l’élégance des confessions qui se moquent d’elles-mêmes. « J’ai connu le bonheur invraisemblable des grands tristes, ceux pour qui la lumière est rare » ; « Tu traînes la métaphore, comme on traîne la patte » ; « Tu voudrais que je rétablisse la vérité ? » Une certaine sobriété de ton, un semblant de solennité (forcément toute relative, sous la plume de Jauffret) sillonnent le récit, laissant apparaître un narrateur malmené, sa correspondante se vouant joliment à découdre la trame et moquer les effets dont elle est le principal sujet.
De par sa forme, Lacrimosa attire l’attention sur celui qui raconte et sur sa manière de le faire. L’explication tombe dès la première phrase : « Vous êtes morte sur un coup de tête d’une longue maladie ». Charlotte s’est suicidée ; cet échange de courriers permis par le néant conciliant explore les derniers mois de la jeune femme, sa relation avec celui qu’elle appelle « mon pauvre amour » et le gouffre hypnotique dans lequel elle va définitivement s’égarer. « Le suicide est un homicide comme un autre. Un assassinat avec préméditation, un complot fomenté par une faction dans un recoin du psychisme. Une faction qui peu à peu fait des émules, jusqu’au soir de l’insurrection ». Sur un thème dont on s’accorde à dire qu’il lui est cher, Jauffret livre une œuvre à la beauté exigeante. En démiurge prudent et enclin à neutraliser les charges émotives du récit, il use de mille ruses narratives et libertés stylistiques qui dissimulent le poids réel du roman. Pris dans le feu des échanges, on ne s’occupe bientôt plus de savoir qui a raison ni qui enjolive quoi, et l’on espère naïvement voir Charlotte émerger du gouffre au dernier instant. On a pourtant été prévenu : « Vous êtes morte sur un coup de tête d’une longue maladie ». Non content de nous offrir un des plus beaux incipits de la littérature française contemporaine, Régis Jauffret signe aussi « un vrai livre ».