A Short Film about Indio Nacional a mis plus de deux ans à nous parvenir, le temps pour Raya Martin, qui a quoi, 23 ou 24 ans au compteur, de se faire un nom dans le circuit des festivals et surtout de faire valoir une fertilité insensée : son cinquième long-métrage est déjà terminé, tandis que cette année était présenté à la Quinzaine des réalisateurs les 4h40 de Now showing, qui succédait à Autohystoria, projeté à Marseille il y a tout juste un an. Une telle prolixité semble venir combler un manque : c’est justement cela le projet d’Indio Nacional. Si les Philippines et les autres pays d’Asie du Sud-Est (Malaisie et Thaïlande) sont devenus aujourd’hui, peut-être, le centre vital du cinéma asiatique, le film de Raya Martin est tout entier requis par la nécessité de faire revivre un passé sans images. Il s’agit pour lui de raconter une geste nationale, l’émancipation de son pays, au tournant du siècle, alors qu’il était sous le joug de la domination espagnole.
Par quel moyen ? Une reconstitution, mais d’un genre très particulier : un film en noir et blanc, muet, avec des intertitres, fabriqué aujourd’hui mais semblant sortir de quelque armoire d’archives, un film d’époque au sens où il est pareil aux films du début du siècle. Résurrection ? Mieux que ça. Plutôt une naissance : il y a dans ce vieux film très jeune, qui n’est pas une parodie ou un pastiche, une lumière inédite, quelque chose d’un primitivisme flambant neuf, d’un archaïsme ultra-contemporain. Le geste est puissant, l’ambition un peu folle mais avancée doucement, on dirait presque avec timidité. Humilité, certainement, il faut le dire en tout cas pour esquiver le reproche qui pourrait être fait au jeune cinéaste de s’enfermer dans l’hermétisme. Avant cela, une première partie qu’on n’ose à peine croire située ici et maintenant avait longuement montré un couple couché ; une femme qui n’arrive pas à dormir à la lumière vacillante d’un feu, et qui avait fini par réveiller son amant pour qu’il lui raconte une histoire. Drôle de paradoxe, cette pulsation lumineuse qui danse avec les pixels de la DV, tandis que la partie muette, filmée en 35mm, oubliera cette particularité des films d’antan. S’essuyant les yeux, puis comme possédé par son récit, l’homme s’exécute et raconte par l’allégorie l’histoire d’un pays en souffrance. Ce sera encore la dédicace ultime du film, offert au pays et aux siècles.