Pour une scène érotique, les Larrieu opposent, en champ-contre-champ, Sabine Azéma couverte d’un chocolat de massage orgasmique et un certain Christophe Paou, qui joue le masseur. Grotesque érotico-sensualiste, frontalité intimidante : Beau Regard baisse la tête. La goguenardise, c’est se montrer aussi gourmand que moqueur, dans son ton comme dans l’élection de ses sujets. Ainsi, un acteur très connu (Jean-Pierre Darroussin) et une actrice très connue (Sabine Azéma) forment un couple qui ne couche plus ensemble. S’étant souvenu d’une expérience de jeunesse, monsieur, bon camarade, emmène madame aux Pyrénées dans l’espoir qu’elle y guérira de sa nymphomanie. La montagne du cru est métissée avec volontarisme (Tibétains, frères chrétiens, mondains, Espagnols). Le contexte, libéral post-post-soixante-huitard, volontairement artificiel, suscite un comique de « têtes » (voir le casting, dont un faux ours ou Philippe Katerine en frère chrétien) et des comportements régressifs en cascade : assauts ou éveil de la libido, ambiances zen ou champêtre, alors que pointent la peur, la lâcheté ou l’égoïsme – le tout faussement primesautier. La morale est baroque : monsieur et madame auront envie de refaire l’amour, mais qui sont-ils sinon des acteurs qui ne savent que jouer la comédie et qui ont assuré pour nous le spectacle ?
Après la réussite commerciale de Peindre ou faire l’amour (800 000 entrées pour un budget de 4,26 millions d’euros), les frères Larrieu devaient tourner « un projet très ambitieux, un film urbain et international » (comme ils l’expliquent dans le dossier de presse), mais le tournage, prévu sur 12 semaines, a été repoussé d’un an. Ils en ont profité pour écrire et tourner, en cinq semaines seulement, Le Voyage aux Pyrénées, une « fantaisie » selon leurs voeux, avec un petit budget (moins de 2 millions d’euros). Résultat de la prise en compte intelligente et goguenarde des conditions de production françaises : les Larrieu se sont mis à « l’underground produit ». Ces cinéastes intelligents, dont l’intelligence consiste pour une large part à surfer sur la vague sociologique et qui savent se réjouir des élans et des travers des contemporains en demande de sensualisme, sont donc allés jouir intelligemment des aléas finalement opportuns de la production cinématographique française.
« Underground produit » : la formule est impossible puisqu’on a l’habitude de regrouper sous le terme « underground » tous les films qui ne sont pas produits. D’un point de vue esthétique, on ne saurait dire ce qu’ont en commun les films de Jonas Mekas, d’Alfo Arrieta, de Pierre Léon, de Shanti Masud ou de Kenneth Anger, sinon qu’ils ont été faits sans argent. Avec ses ressorts narratifs arbitraires, ses développements logiques a priori, ses scènes en aplats, ses personnages réduits à des types aussi truculents que fonctionnels, ses nudités a-sentimentales, sa mise en scène des idées, ses visées allégoriques et son pied-de-nez final, Le Voyage au Pyrénées évoque une grosse machinerie baroque dont la montagne serait le théâtre (dans le théâtre baroque, il faut des prodiges), mais sans les moyens (la foudre en plein air, c’est moins coûteux que la foudre et les nuées qui descendent sur scène). Le Voyage aux Pyrénées est-il un film underground ? Il n’est en tout cas ni épiphanique, ni atmosphérique, ni sensuel (trois émanations auxquelles on associe souvent l’underground, et dont la liberté totale – en termes de conditions de production – serait la condition de possibilité).
L’underground du dernier né des Larrieu est surtout à chercher dans son rythme : une certaine disposition à faire se succéder les scènes les unes après les autres comme on fait le tour, étape après étape, d’une piste savamment construite, ce qui donne une sensation de passages obligés au dam de la sacro-sainte cadence accrocheuse ; une manière de laisser s’embourber et durer le comique le plus idiot, en laissant les comédiens (notamment Darroussin, naturellement dégingandé, jouant la virilité prise de court par la panique) se dépatouiller à partir de situations pas possibles (avoir peur d’un ours, remarquer que l’ours urine comme un homme). Le Voyage aux Pyrénées assume la fantaisie des origines et ses tunnels (les comédies bourgeoises de Emile Cohl et de Léonce Perret, les farces burlesques de Jean Durand), et semble revendiquer cette fantaisie comme on fait acte de militance (Le Voyage aux Pyrénées serait le film militant de l’année ?). Faussement underground puisque produit, ou vraiment underground puisqu’il fait tout pour ne pas le sembler (et les stars jouent le jeu de la famille et de la bande) ? En tout cas, le ver est dans le fruit, nouvelle preuve de l’intelligence goguenarde des deux frères.
Un petit bémol : celle-ci ne dessert-elle pas leurs films ? Peindre ou faire l’amour, avec ses airs de sérieux psychologique dont on pressentait pertinemment le fond narquois, pouvait être agaçant. Le Voyage aux Pyrénées, où la bêtise des situations et des ficelles, qui est apparente, rivalise avec l’intelligence de ces mêmes situations et ficelles, est à cet égard moins tortueux, moins démoniaque, et donc plus réjouissant. Etre plus intelligent que son film est un péché mignon. Est-ce un péché capital ? Les deux frères restent, finalement, dans un certain registre de la provocation et de la réflexion. L’animalité et le mysticisme qui jalonnent le film sont plus signalés ou drôles que troublants. Quant à la queue de poisson finale, elle est une apologie désinvolte et pas dupe de l’illusion : mise en avant des idées, ultime goguenardise. Luc Moullet, cet autre cinéaste des montagnes et des problèmes de couple à résoudre en plein air, qui n’est pas en reste en matière de bêtise et d’intelligence conjuguées, est un jusqu’au-boutiste de la logique abrasive. Lui, cependant, croit au lyrisme des émotions (voir le déchaînement destructeur de l’amour fou à la fin des Naufragés de la D17). Les Larrieu, eux, sont des hédonistes. Ils se défient des émotions, les retournent avec intelligence et nous maintiennent somme toute à notre échelle très humaine (nous qui cherchons à n’être pas débordés ?). L’histoire du couple en mal de chair qui, suite à une série de phénomènes d’une nature plus grande et plus puissante que l’humain, va pouvoir refaire l’amour, avait quelque chose de romantique. Les Larrieu se méfient des grands bouleversements, dont ils ne cessent de parler, quand il s’agit de les montrer. C’est leur idée et c’est leur prix.