La médiocrité pépère et inoffensive de Max Payne, la tranquillité toute routinière avec laquelle il déroule son programme (depuis le jeu vidéo, depuis les comics, depuis le cinéma hong-kongais des 90’s, depuis Matrix, depuis Sin city), tout cela en fait un parfait film-symptôme. Symptôme de quoi ? Un plan l’explique en bout de film : Wahlberg s’ébroue au ralenti et appuie sur la gâchette, John Woo-style, mais l’essentiel se joue derrière lui, sur le mur où s’affiche la reproduction géante d’un oeil ouvert en grand, un oeil qui est un ogre et qui dévore le cadre, le film, entiers. Le globe englobe : sans soupçonner l’intention « méta » (le film ne vole pas si haut), on aura reconnu, épinglé ici, ce régime du « visuel » dont parlait Daney il y a quinze ans déjà, ce régime qui, disait-il, concerne le nerf optique mais ne produit pas d’images. Il serait un peu con de s’en désoler aujourd’hui (puisque, sans donner tort à Daney sur le fond, ces images sans altérité, closes sur elles-mêmes, se sont dotées d’une grammaire et ont donné quelques beaux films), et surtout, ce n’est pas la question. Ce qui étonne plutôt, c’est que, justement, rien n’étonne plus ici, rien de ce qui faisait encore événement il y a une poignée d’années, de Matrix à Sin city, quand la victoire des images sans fond se chantait encore avec un enthousiasme forain et enfantin. En 2008, Max Payne semble un film infiniment vieux.
Lui fait défaut, probablement, ce qui nous avait séduit dans Wanted, nanar nouveau riche mais qui avait pour lui sa jubilation de tous les instants à manipuler pareilles images, et à reconfigurer le monde en pure surface. Max Payne, pourtant, ratisse large, vise le néo-Noir gothique (de Blade runner à Sin city, en passant par Dark city, influences omniprésentes), fait un détour par l’ésotérisme pop et grand guignol d’un Blade ou d’un Constantine, pour se ratatiner sur une sorte de théorie du complot façon Un Crime dans la tête, balancée in extremis comme une charge contre l’administration Bush (une vague histoire de super amphét’ administrée aux soldats sur le front irakien qui, bien sûr, dégénère). Passée l’efficacité indéniable du décor (la neige sur la ville, qui remplace la pluie de Blade runner et produit quelque chose d’assez beau), le film se traîne sans enthousiasme jusqu’à son dénouement, désespérément amorphe, à l’image d’un Mark Walbergh catatonique et qui semble se demander ce qu’il fout là. Symptôme de quoi, demandait-on ? À l’évidence, d’une inévitable normalisation, à partir des pistes ouvertes par le cinéma post-Matrix. Un Sin city ou un Wanted nourrissaient le dessein, forcément intéressant, d’un cinéma en aplats. Max Payne n’a pour lui que des images plates, compilées en un feuilleté terne, fatigué, sans joie.