Les Apatow-movies se suivent et se ressemblent, alimentant avec une belle énergie ce qu’on identifie désormais comme la plus belle saga en cours de la comédie américaine contemporaine. Après le geek élevé aux goodies de 40 ans, toujours puceau, après l’apprenti father d’En cloque, mode d’emploi, après les ados obsédés par le porno de Supergrave, c’est au tour du dépressif largué sans ménagement par sa copine de prendre les commandes du scénario. Soit Peter, un musicien raté qui, en tentant d’oublier Sarah, pimpante héroïne d’une sitcom à succès, se retrouve par le pire des hasards en vacances à ses côtés. Affublée d’un hilarant rocker anglais (une sorte de Florent Brunel à la sauce punk), la belle va faire vivre un enfer à son ex. Comme Supergrave, Sans Sarah rien ne va ! – restons dignes face à ce titre français inouï – est simplement produit par Apatow et permet de mesurer combien la patte du petit maître repose désormais sur des éléments déjà bien intégrés par ses disciples : refus du style (on est loin des néo-architectes du burlesque type Ramis, Farrelly ou Wes Anderson), rythme un peu laborieux, mise à l’épreuve un peu sadique du héros, volonté d’explorer dans ses moindres possibilités la logique d’apprentissage qui préside au scénario.
Dit comme ça, rien de bien emballant, mais les Apatow-movies ont pourtant tous en commun d’atteindre la féerie par cette convocation de détails hyperréalistes du quotidien, à la manière de petits manuels générationnels humbles, entêtés et minutieux. C’est ce qui fit la fraîcheur de Supergrave (cette extrémité du labeur et de l’effort mis en oeuvre par les ados), et si Sans Sarah rien ne va ! semble se colorer des tons irréels et criards de Hawaï, ce n’est que pour retomber dans l’enfer de cette discipline narrative des précédents opus : à chaque séquence son challenge minimal (supporter le voisinage bruyant du couple, dîner tout seul au restau, se faire des amis, séduire la belle hôtesse…) : une accumulation de gestes (et de plans) minuscules qui finissent par produire un effort considérable. Considérable en effet, la toute dernière ligne droite du film : quelque chose de décisif se joue précisément ici, au croisement du deuxième et du dernier tiers, lorsque l’éreintement où est plongé le héros (burlesque sans garantie, plaisir kamikaze du pur comique de situation) pousse le film au bord du vide. C’est là que Sans Sarah rien ne va !, exactement comme Supergrave, dévoile sa puissance de feu : un amour inconsidéré mais dissimulé jusqu’au bout pour ses personnages. Sur un détail – le spectacle musical de Peter, la décision finale… -, le comique délicieusement anodin révèle son envers parfaitement réfléchi. Cette adorable versatilité fait tout le prix des fables modestes et généreuses de Judd Apatow.