Loin de ses roboratifs compatriotes, les bêtes à concours Reygadas et Inàrritu, le Mexicain Fernando Eimbcke est un cinéaste frugal qui préfère vider l’espace plutôt que de le saturer. La preuve avec Lake Tahoe, où un adolescent prénommé Juan finit par accepter la mort de son père au bout d’un périple picaresque et urbain. Le tout filmé dans des à-plats aussi épurés que cohérents. Quelle meilleure matière que le vide lorsqu’il est sujet d’absence ?
Le hiatus saisit dès les premiers plans. Juan sillonne les ruelles désertes au mépris de toute cohérence spatiale, comme égaré dans un dédale mental. Sabrée par des coupes de plusieurs secondes, de longs noirs évocateurs, son errance s’installe sous le double signe de la divagation et du manque. Politique de la soustraction encore, économie de moyens surtout : Eimbcke traduit failles et doutes par la seule entremise des images et de leur défilement fragmenté. S’opère alors une mise à distance entre le film et les spectateurs. Aridité conceptuelle ? Pudeur salvatrice ? Ce rapport d’un corps à des plans trop grands en dit en tout cas davantage sur la perte que les habituelles démonstrations lacrymales du cinoche tiers-mondiste.
Il y a quelque chose d’Hamaca Paraguaya dans cette esthétique du recul, de Gus Van Sant dans ce rapport à l’adolescence, de néoréaliste dans l’ambiance générale. Mais pas seulement : à mesure que Juan multiplie les rencontres, un ton singulier s’impose, lové dans les zones de friction du film (comédie / drame, vérisme / absurde, solitude / contacts). Aux plans ascétiques du début succèdent bientôt les facéties d’un mécano fondu de kung-fu, quelques gags visuels et surtout une étreinte parfaitement bouleversante. Jusqu’alors sans profondeur de champ, le film s’incurve tranquillement, la caméra s’approche, le dispositif s’étiole, l’émotion point. Mais ce qui se joue dans Lake Tahoe tient avant tout du parcours initiatique : celui d’un gosse contraint par la mort de grandir, de mûrir, d’endosser un costume taillé pour son père. Edifiant ? Sans doute, mais en opposant sa mécanique d’euphémismes aux clichés de rigueur, Eimbcke évite finalement la plupart des écueils – beauté du retrait et de la sourdine qui entrave l’émotion pour mieux la laisser sourdre.