« Les Kurdes quittent l’enfer, leur pays aimé, ils partent à la recherche d’un pays imaginaire. Moi, j’ai fui la bouteille ; chez nous, on disait : « La bouteille soit tu rentres dedans soit elle te rentre dedans. » C’était ça mon pays… Mes images racontent cette fuite, le chemin de l’exil, la vie et surtout l’amour ! » Au vu de ses affirmations (lues dans le dossier de presse), Hiner Saleem a cherché à retrouver dans son aventure personnelle les grands enjeux d’une quête nationale, l’errance du peuple kurde et la recherche de sa « terre promise ». Cela commence dans l’immensité blanche des montagnes arméniennes, où un vieil homme fatigué enterre son épouse avant de se laisser mourir. Ce sont les parents de Zara, une jeune Kurde en fuite qui, avec son ami Dolovan, cherche à rejoindre la France. Eux atteignent un village près de la frontière. Avant de se mettre en route, il leur faut attendre, au palais d’Hiver, sorte de squat dans un village arménien où les exilés attendent le moment du départ. Puis le couple se met en route, se perd, se retrouve dans les entrepôts putrides et décatis du Ghetto de Venise, rejoint enfin Paris où de nouvelles difficultés les attendent, ajournant sans cesse la promesse d’une vie sédentaire.
Beau sujet que celui de Passeur de rêves. Une histoire personnelle et douloureuse, à laquelle le réalisateur cherche à donner l’ampleur d’un destin national. Mais malgré ses bonnes intentions, le film se cantonne à une description didactique, naïve et sentimentale de l’itinéraire de Zara et Dolovan. Dans l’évocation de ce petit groupe représentant la communauté kurde, on dépasse rarement le cliché culturel : un homme se prend d’amour pour son canard, le seul qui n’ait pas été mangé au village, un accordéoniste est porté sur la bouteille, une petite fille succombe au moment de partir… Jamais la fantaisie des coutumes et des portraits ne nous rend les personnages attachants, et le regard un peu apprêté, rappelant parfois le Kusturica du Temps des gitans, échappe rarement à un pittoresque de bon aloi qui se repaît d’une émotion facile. De la souffrance de ces Kurdes condamnés à l’exil, nous n’avons que des signes et les manifestations extérieures, un pathétique galvaudé et convenu, dépourvu d’une véritable vision politique et sans vigueur poétique. Les figurants et personnages secondaires, -pour l’essentiel d’authentiques réfugiés kurdes- peu habitués à la caméra, se demandent ce qu’ils font là. Quant à Olivier Sitruk, c’est plutôt le spectateur qui se demande à quoi rime son parachutage dans un pareil casting. Même si la sincérité du réalisateur n’est pas à mettre en cause, il manque à une histoire aussi forte et personnelle une vision, un scénario, des personnages, un rythme, une mise en scène et un certain degré d’engagement formel. En fin de compte, il lui manque le cinéma.