Par son apparent nihilisme et ses longs plans-séquences rivés au quotidien désolé de la banlieue madrilène, La Influencia semble d’abord s’inscrire dans la lignée d’un cinéma d’auteur dont on n’est pas très fan en ces pages : rigueur un peu terroriste, effets d’autant plus ostentatoires qu’ils se rêvent en modèles d’ascétisme et révèlent un goût prononcé pour le sérieux christique d’un Reygadas – dont Pedro Aguilera fut l’assistant. Mais le cinéaste trouve dans le remuement vague de ses longs blocs d’ennui – attente dans la boutique sans clients, repas en famille, absurdes jeux d’enfants – un vide, une latence qui s’emparent peu à peu des rouages et des profondeurs du film. D’où peut-être ce relâchement qui libère, à mesure que le naufrage se dessine, l’étude raide et clinique en beau mélodrame hébété. La Influencia devient alors un film absolument passionnant, magistralement orchestré, entre chronique des morts et fable doucement hagarde, traversée de moments d’une agonisante beauté.
Alors Aguilera trouve un étrange équilibre de forces contraires, conte au réalisme halluciné (on songe au chef-d’oeuvre de Jack Clayton, Chaque soir à neuf heures), délitement dans les profondeurs blanches de la dépression, extinction lente d’un monde filmé comme une nature morte. Le choix de laisser in fine les commandes du récit aux enfants est une autre très belle idée du film. Il y a là une manière de passer le relais de la fiction (la maison transformée en grand boui-boui multicolore) et de se refuser à l’écueil du non-lieu tel qu’Haneke en raffole, ce genre de point aveugle vers lequel la mise en scène, par son côté forcené, semblait devoir finir par buter comme un bolide titubant. Pas question pour autant de s’en remettre à la fuite un peu facile par l’imaginaire et la féerie. Pedro Aguilera n’est pas plus petit malin que gros pataud illuminé à la Roberto Benigni, et se garde bien de sombrer dans pareil subterfuge : de là que le regard ivre et fou des kids, au dernier plan, rayonne de la lueur infâme du désastre que le film s’est attaché à décrire de tout son long.