Dix ans après le sympathique et gorissime Baby blood, Alain Robak est de retour avec un étrange ratage. La Taule, c’est à la fois l’idée que tout le monde se fait de la prison et son contraire, un ramassis de clichés qui impressionnent par leur excès, le constat de la violence et sa mise en images surréaliste. C’est lorsque Robak joue à fond de ces paradoxes que son film devient passionnant. Ainsi, lors de la présentation de ses personnages, qui forment une sorte de microcosme sans cesse au bord du chaos, le cinéaste déploie une énergie et une audace rares dans le jeune cinéma français, entre un Mocky survolté et un Gaspar Noé sans esbroufe. Qu’est-ce qu’une taule ? Une foule de types et de typages : directeur, maton, muet, homo, manouche, branleur, innocent, travelo… Les êtres ont perdu leur identité au profit d’une iconicité déglinguée et cradingue, tandis qu’un seul prisonnier semble tout prendre en charge, organisant les évasions, gérant les tensions, corps du savoir et de la justice, corps forcément silencieux (pour la première fois de sa carrière, Olivier Martinez joue juste : il ne prononce que deux mots de tout le film).
Pourtant, Robak ne va pas au bout de sa folie, et finit par se perdre dans une série d’épisodes sans grand intérêt : les multiples interventions d’un flic insupportable (Gilbert Melki, vraie tête à claques) et d’un comité d’inspection horrifié par le laxisme des gardiens, l’organisation secrète d’une projection de match de football, ou encore les rapports entendus entre le directeur (Bernard Le Coq, très bon) et le chef des matons (Claude Brasseur, génial de perversion et de cruauté). Mais surtout, La Taule se noie dans une vulgarité qui ne mène à rien, si ce n’est à deux ou trois vannes faciles (les dialogues sont signés par l’indécrottable Laurent Baffie), alors que cet étalage de bêtise, de machisme et de beauferie humaine aurait pu élever le film jusqu’à la vision radicale du fascisme au travail. La mutinerie finale souffre à l’identique de cette peur de traiter la violence de front. C’est d’autant plus dommage que Robak s’avère capable de créer de beaux moments d’ambiguïté (l’intrigante séquence au mitard entre Brasseur et Martinez), et l’on se met à rêver qu’il ose planter un jour sa caméra au cœur de la véritable ignominie.