Après la semi-réussite du projet A l’ombre des tours mortes, qui ne parvint jamais à égaler la maîtrise provisoirement (?) indépassable de Maus, et en attendant MetaMaus, réflexion sur l’oeuvre maîtresse d’une vie et peut-être d’un genre tout entier, voici donc Breakdowns. Sorte de « Mélanges » à la manière des explorations et jeux proustiens, il est surtout un magnifique document sur une époque (celle du comics underground dans les années 1970) et sur un créateur qui naissait simultanément à lui-même. Comme une descente jubilatoire dans la psyché de Spiegelman, Breakdowns offre une variété de formes et d’expressions graphiques qui vont de l’apparition de l’entreprise autobiographique (comme le magnifique Prisonnier sur la planète Enfer, déjà reproduit dans Maus, mais dont on découvre ici la genèse), à la découverte de la bande dessinée via le Mad Magazine de Kurtzman et compagnie.
L’ouvrage lui-même se décompose en trois parties autonomes et complémentaires. La première regroupe des souvenirs personnels en apparence désordonnés et spontanés ; la seconde est constituée de l’ensemble des histoires qui ont formé le premier Breakdowns, initialement publié en 1978 ; la troisième, enfin, est en réalité un long texte explicatif rétablissant une chronologie malmenée par la spontanéité des pages précédentes. Car l’impression laissée par la lecture de Breakdowns est bien celle d’une vitalité et d’une créativité que l’immense Artie semblait bien avoir égarées dans sa sentencieuse description du 11-Septembre. Ici, plus particulièrement dans le Breakdowns d’origine, c’est bien l’énergie folle du NYC des années junkies, celles de Nan Golding et du CBGB, qui éclate, en même temps que la douloureuse construction de l’artiste en auteur de bande dessinée autobiographique, loin du sexe et de la dope des comix hippies. En outre, Breakdowns apporte au lecteur une nouvelle facette du mythe personnel de l’auteur, en particulier à travers ces émouvantes évocations où l’on retrouve la grande absente de Maus, la propre mère d’Artie. L’« Histoire avec sa grande hache », comme le disait Georges Perec, s’efface alors devant ces « Je me souviens » qui rappellent pourquoi Spiegelman est peut-être toujours le plus grand.