L’an dernier, avec Sauvages, Mélanie Wallace livrait un premier roman fascinant, obsédant. La Vigilante, une histoire de froid, de neige, de désolation, s’inscrit dans la même veine. Dans un no man’s land situé entre forêts et lac gelé, au milieu d’un hiver qui n’en finit pas, son récit sur le fil du rasoir flirte parfois avec l’horreur. On y avance entre le mal et la folie, impossibles à entraver. Si Mélanie Wallace abandonne les terres du Sud, de la frontière américaine, c’est pour mieux s’enfermer dans des montagnes à la rigueur impitoyable. En arrière-plan, des faits divers anciens lui permettent de raconter des familles qui n’ont plus avec l’humanité que des liens ténus. White trash abandonnés dans des cabanes qui s’écroulent, les fantômes qui errent ici ont rompu, définitivement, avec l’idée de la civilisation. Rien ne peut les sauver. Jamie, figure errante de vagabonde avec son chien, va rompre un équilibre fragile, s’immiscer dans une histoire dont elle ne soupçonne pas le sordide. L’adolescente est là par hasard, parce que sa mère est morte, parce qu’elle ne connaît pas son père, parce qu’elle a voulu revenir sur les lieux d’un voyage d’enfant. En libérant un matin un gamin silencieux, puni par son père, attaché à un arbre, elle ignore ce qu’elle déclenche. Jamie vient du monde des vivants, et son geste innocent précipite une fin annoncée.
La Vigilante est un texte d’une violence extrême, redoutable, primaire, d’autant plus terrible qu’elle s’immerge dans un paysage d’une immaculée blancheur, celui de ces montagnes inviolables. Ceux qui vivent ici sont abandonnés, oubliés du monde. Qu’ils l’aient choisi ou qu’ils le subissent, c’est l’isolement qui les tue lentement, le retrait hors d’une société dont ils ont perdu les codes. Au milieu, quelques pôles lumineux concentrent ce qu’on pourrait nommer le « Bien ». Galen, trappeur hanté par son passé, est bon, mais il estime n’avoir plus droit qu’à sa solitude. Margaret, la photographe de la ville, incarne la Normalité. Le receveur des postes qui a connu et aimé la grand-mère de Jamie est la Nostalgie. Le chien est la Fidélité. Avec la même puissance narrative que dans Sauvages, Mélanie Wallace donne vie à l’impossible, à l’inimaginable. Tandis que la neige tombe sans arrêt, que le gel fige l’ancien manège à chevaux de bois, la forêt s’ouvre sur ses clairières désertes, le lac immense et gelé envahit l’espace. Par contraste avec cette pureté éthérée, la cabane des parents du garçon est un univers envahit par la crasse, les coups, le bruit, l’abandon, le feu, l’oubli. Entre ces deux extrêmes, l’histoire suit son cours, guidée par la destruction.