Collaborateur de nombreux artistes de la scène indépendante d’avant-garde nord-américaine (Mike Patton, John Zorn, Sun City Girls, Master Musicians of Bukkake…), complice de groupes tels que Earth, Grails ou Sunn 0))), Eyvind Kang appartient à cette lignée de musiciens inclassables et polymorphes, dont la formation classique n’est qu’un point de départ à partir duquel toutes les métamorphoses sont possible.
Violoniste de formation, ses compositions puisent autant dans les musiques polyphoniques de la Renaissance que dans la musique baroque, avec des détours inattendus vers une sorte d’easy listening, dont la grâce et la fluidité désamorcent toute tentation kitsch. Imprégnée d’une atmosphère cinématographique évoquant aussi bien Michael Nyman (The Clown’s song, Hiemarmene), Ennio Morricone (The Yelm sessions) ou Bernard Herrmann (Hawks prairie), cette somme de compositions où tradition lyrique et avant-garde s’entremêlent, déroule de passionnantes bobines imaginaires. Constamment imprévisible, Kang passe sans crier gare d’un menuet baroque à un somptueux drapé de cordes aux résonances orientales (sitar et viole sont de la partie), de voix céleste sur fond d’exotica – le timbre de la chanteuse Jessica Kenney évoque aussi bien Yma Sumac sur Enter the garden que Julee Cruise sur Mistress mine – à des harmoniques spectrales parsemées de field recordings nocturnes (grillons, crapauds, orage au loin). Chaque élément concourt à instaurer un climat propice à un état contemplatif, ouvrant la porte à la beauté primordiale du Monde et à un raffinement issu d’un passé mythique où se dégustaient maints élixirs opiacés.
Comme sorti d’un Wong Kar-wai, la pièce Asa tru est à ce titre un sommet de mélancolie hiératique. Qu’elles soient atonales ou plus académiques, les symphonies de Kang exercent un indéniable pouvoir d’attraction et nous font voyager vers un ailleurs romantique, un périple du côté des Mandarins Merveilleux et des cimes dans le brouillard, de l’Asie d’Ossendowski et des steppes dépeuplées, des chamanes et des alchimistes – mais on y décèle aussi des réminiscences de thrillers de séries B, une poésie candide et un humour excentrique à la Zappa. Un tour de force magistral qui confirme le génie de ce jeune compositeur, aussi à l’aise dans le free-rock expérimental (il collabore régulièrement avec les les Secret Chiefs 3, groupe formé par Trey Spruance, le guitariste de Mr Bungle) que dans l’orchestration de haute volée, comme si John Zorn avait troqué son saxophone contre un violon ensorcelé et que le jazz avait été inventé au Quattrocento en Asie Centrale.