Deuxième (et avant dernier) long métrage de Michael Reeves, jeune réalisateur prodige des années 60, que sa disparition prématurée a élevé au rang de légende du cinéma fantastique anglais, The Sorcerers rassemble encore de nombreux fans chez les amateurs de ciné fantastique et tout le monde s’accorde autour de Witchfinder general (également disponible en DVD chez Néo-Publishing), son film le plus connu, brûlot radical s’il en est.
Witchfinder general (1968)
Pour la petite histoire, Reeves voulait surtout Donald Pleasence pour le rôle titre de Witchfinder general (Le Grand inquisiteur), mais American International Pictures qui coproduisait le film (avec la Tigon), souhaitant capitaliser le jackpot des adaptations d’Edgar Poe par Roger Corman, impose la présence de leur vedette maison, le sardonique Vincent Price, et le film sera l’objet d’un relookage sévère pour sa sortie US : changement de titre (Conqueror worm, titre d’un poème de Poe, récité par Price en intro), musique originale de Paul Ferris remplacée par le synthé de Kendall Schmidt, etc. Coté casting, on adore Donald « Halloween » Pleasance, mais Price est absolument époustouflant de justesse dans le rôle de l’infâme Matthew Hopkins, infatigable chasseur de sorcières qui ne recule devant aucune torture pour éradiquer le Malin des paisibles campagnes anglaises du XVIIe siècle.
Habituer à cabotiner (Docteur Phibes, Théâtre de sang…), il en fait généralement plus qu’il ne faut, sauf dans Witchfinder general où Reeves, justement, était constamment sur son dos pour lui faire jouer un ton en dessous. Leurs relations pendant le tournage n’étaient d’ailleurs pas vraiment au beau fixe, l’acteur acceptant mal qu’un freluquet lui dise comment tenir son rôle et Reeves, sachant exactement ce qu’il voulait, bien décidé pour sa part à ne pas s’en laisser compter par cette vieille ganache alcoolique. Dans son livre Nigthmare movies, l’excellent Kim Neuman (Anno Dracula) rapporte l’anecdote suivante : l’acteur, excédé, se tourne vers le réalisateur ;et l’apostrophe : « Jeune homme, j’ai tourné dans plus de 80 films. Et vous, qu’avez vous fait ? ». Et Reeves de lui répondre, cruellement : « J’en ai fait deux, mais des bons ». Pas rancunier, Vincent Price reconnaîtra néanmoins son erreur une fois le film achevé, adressant même une longue lettre d’excuse à Reeves, où il lui avouait que Witchfinder general était en définitive une de ses meilleures performances. Les pontes de l’AIP furent également considérablement impressionnés par le lyrisme, la froide beauté et la sauvage cruauté de ce film qui ne ressemblait à rien, ni aux films de Corman, ni au reste des productions Hammer, Amicus, Tigon, Tyburn confondus. Loin des kitscheries gothiques fabriquées en studio, Witchfinder general impressionne par son souci d’authenticité. Entièrement filmé en extérieurs (locations dans le Suffolk), le réalisme de la reconstitution historique et la sobriété de l’interprétation concourent à renforcer le naturalisme des scènes de torture. Vincent Price n’a jamais été aussi effrayant et la sécheresse de l’anti-happy end final est à glacer le sang. Au lieu du film fantastique attendu, Witchfinder general ressemble plus à un western Cromwellien au nihilisme barbare, mélange d’action (cape et d’épée) et d’ultraviolence rarissime dans le cinéma européen de l’époque, mais qu’un Sam Peckinpah contribuait à populariser outre-Atlantique (The Wild bunch, 1969). John Coquillon, directeur de la photo de Witchfinder general, travaillera d’ailleurs par la suite sur Straw dogs (1971) Pat Garrett and Billy the kid (1973), Cross of iron (1977)… La boucle est bouclée.
La Sorella di Satana (1966)
Son film suivant devait être The Oblong box, toujours pour l’AIP. Mais Michael Reeves décède juste avant le début du tournage, le 11 février 1969. L’homme était maniaco-dépressif, limite dérangé… L’écrivain Iain Sinclair, qui l’a côtoyé, lui consacre plusieurs pages de son « Cinema Purgatorio : ligths out for the territory », évoque aussi ses liens avec la mafia, l’argent qu’il devait… Suicide ? La question n’est toujours pas tranchée, même si l’autopsie de l’époque conclue à une overdose accidentelle de médicaments. Il avait vingt-cinq ans. On peut toujours épiloguer à l’infini pour savoir quel réalisateur il serait devenu. Qui a dit Michael Winner avec un cerveau ? En seulement trois films, il a brûlé toutes les étapes d’une carrière flamboyante commencée sur les chapeaux de roue. Né à Londres en 1944, à peine est-il sorti de l’école, le voilà déjà parti pour Hollywood, frappant à la porte de son réalisateur préféré : Don Siegel était son dieu, qui lui met illico le pied à l’étrier en le faisant engager sur diverses coprod US tournées en Europe (The Long ships de Jack Cardiff, 1963, Genghis Khan de Henry Levin, 1965). De week-end à Rome, il est réalisateur seconde équipe sur Le Château des morts-vivants (Il Castello dei morti vivi, The Castle of the living dead, 1964, avec Christopher Lee, et un Donald Sutherland encore puceau). Mais La Sorella di satana (Sister of Satan, Revenge of the blood beast, The She-beast) marque officiellement ses vrais débuts derrière la caméra. Loin d’être le chef-d’oeuvre ignoré miraculeusement sauvé de l’oubli, le film est tout juste regardable, à condition de pas être trop regardant. Son intrigue prétexte déjà vue mille fois, à base de malédiction ancestrale (le maquillage de la sorcière pèse des tonnes) ne vaut vraiment pas tripette, hormis pour son parallèle entre vampirisme et communisme qui fait toujours plaisir, et la présence de la ténébreuse Barbara Steele, même si celle-ci n’est restée que deux jours sur le tournage et n’apparaît qu’une poignée de minutes à l’écran.
Qu’à cela ne tienne, Reeves y expérimente déjà le sens du montage hyper nerveux qu’on lui connaît et en profite pour diriger son ami d’enfance, qui va devenir son acteur fétiche, Ian Ogilvy. Les deux se connaissent depuis les bancs de l’école et certaines mauvaises langues leur prêtent un peu plus qu’une simple relation d’amitié. Ogilvy sera de tous ses films. A le revoir aujourd’hui, on se dit qu’il avait effectivement quelque chose en plus, la prestance et le physique avantageux qui faisaient habituellement défaut aux jeunes premiers des Hammer films et consorts. Manque de chance, il commence à tourner juste au moment où le déclin des studios anglais s’accélère. Outre sa participation aux films de Reeves, sa brève carrière de James Dean égaré au pays de l’Horror se résume à quelques apparitions, la plus marquante restant de loin celle du jeune noble dont l’épouse est violée le soir de ses noces par le fantôme d’un paysan que son ancêtre avait injustement fait condamner, dans And now the screaming starts (1973), une production Amicus en costumes, signée Roy Ward Baker. C’est finalement à la télévision, qu’il trouvera la gloire en incarnant Simon Templar, alias Le Saint des romans de Leslie Charteris, dans la série post Roger Moore. Pas revu sur les écrans depuis Pupet master 5 (1994), il s’adonne maintenant à l’écriture de romans pour la jeunesse.
The Sorcerers(1967)
Entièrement tourné à Londres, The Sorcerers (La Créature invisible en VF) n’a peut être pas encore l’impact cinémascope de Witchfinder general, mais témoigne déjà de progrès fulgurants par rapport à La Sorella di Satana. Reeves rivalise d’ingéniosité pour combler le manque de moyens d’un budget dérisoire (moins de 50 000 Livres, dont 11 000 tombés directement dans la poche de Boris Karloff), et il ne lui faut pas plus qu’une solide brochette d’acteurs pour animer son époustouflant théâtre d’ombres. La distribution est bien servie. Bien qu’ayant depuis longtemps atteint l’âge d’une retraite bien méritée (80 ans), Karloff refusait de s’arrêter de tourner. Sa fin de carrière comporte encore quelques très bons films parmi d’inévitable panouilles mexicaines : Les 3 visages de la peur de Mario Bava (1964), Die, monster, die! de Daniel Haller (1965), pour finir en beauté avec Targets de Peter Bogdanovich (1968). Dans The Sorcerers, Creepy Karloff fait méchamment son âge, le visage vieilli, buriné, pathétique, qui promène sa massive silhouette de boogeyman fatigué dans le rôle du Dr Marcus Montserrat, un éminent savant spécialiste de l’hypnose, mis au ban de la communauté médicale pour son manque d’orthodoxie. Il forme avec son épouse (formidable Catherine Lacey) un effrayant couple de sorciers modernes à qui leur machine à mesmériser permet de prendre le contrôle du corps d’autrui (joli moment psyché, à grand renfort d’effets stroboscopiques grinçants, façon Ipcress ou Orange mécanique). Devenu leur cobaye, Michael Roscoe, un jeune paumé, rock’n’roll et rebelle sur les bords, obéit aux ordres qui lui sont envoyés à distance par les deux vieux, qui éprouvent en retour les mêmes sensations que lui. Bien intentionné, le professeur veut que son invention profite au bien de l’humanité, mais son épouse, moins terre à terre, commande bientôt au malheureux de lui voler un manteau de vison, avant de l’obliger à commettre des actes de plus en plus vils et criminels. La dimension sexuelle saute brutalement aux yeux, quand Mike commence à poignarder les jeunes filles courtes vêtues du Swinging London, pendant que la vieille peau soupire d’aise et de jouissance des râles orgasmiques de vampiresse psychique carrément flippants. « Le sens plastique et le sens dramatique s’unissent à la perfection dans ce récit palpitant qui ne lâche pas sa proie ». On ne saurait mieux dire que Jacques Lourcelles à propos de ce fascinant mélange de gothique psyché et de science-fiction à deux sous. Son scénario à la Jacobs (La Marque jaune) lorgne un peu vers Peeping Tom, mais n’a rien à lui envier question fantasmes tarabiscotés de masochisme et de domination. Difficile de ne pas voir un double du réalisateur possédé par des pulsions antagonistes incontrôlables dans le personnage de Michael Roscoe (cf. les initiales), interprété par un Ian Ogilvy, très à l’aise dans son rôle de marionnette passive entre les mains du Mad Doctor / réalisateur, bel exemple d’ouroboros gay qui se mord la queue et en redemande. Au vu du résultat, Michael Reeves n’a certes pas démérité de son culte posthume.