Le premier film de Jan Bonny aborde avec une rare finesse un sujet peu commun au cinéma, la violence conjugale, et le renverse : c’est l’homme qui est battu, pas la femme. Totalement sombre mais sans voyeurisme ni excès, L’Un contre l’autre tisse la tristesse avec la violence. L’histoire de ce couple malade évite toute caricature pour au contraire tenter de cerner les déséquilibres latents et les engrenages retors du rapport de force. Ce qui intéresse le cinéaste, c’est l’aberration de cet enfer réglé par la névrose conjugale.
Le film s’ouvre avec une prouesse (audacieuse ou suicidaire ?) de Georg, un policier mastodonte et placide (Matthias Brandt) puis enchaîne, de retour à la maison, avec les premiers coups portés par la femme (Victoria Trauttmansdorff). L’armoire à glace encaisse tandis que la frêle furie enlaidie par la violence se déchaîne. Mais l’intelligence de Jan Bonny est aussi de refuser toute première fois et toute dramatisation, le film commence dans un quotidien déjà atteint. Les scènes s’étirent en glissement progressif des gestes anodins vers les coups. La mise en scène des corps, leurs rythmes saccadés ou asthéniques, les décadrages inquiétants sur une secousse ou un tremblement, démultiplient la brutalité en frénésie incontrôlable. Le cercle vicieux de la passivité de l’un et de l’hystérie de l’autre tourne vertigineusement sans ni début ni fin.
Certes, L’Un contre l’autre poursuit en un sens une voie tracée par le cinéma allemand (la désagrégation de la cellule familiale), mais il déborde largement de cette classification. Amère et profonde, cette plongée laisse perplexe.