Le scénario assez classique de Yumurta raconte le retour au pays de Yusuf à l’occasion de la mort de sa mère. La nostalgie du pays natal, l’attrait exercé par un paysage immense sur un personnage mélancolique, rappellent à certains moments les films de Ceylan. Mais au delà de cette fraternité, Kaplanoolu déroule autour de quelques scènes étonnantes et vaporeuses un territoire proche du merveilleux. La beauté de l’image, travaillée par le climat (brumes froides, herbe humide et soleil couchant) et des échos chromatiques soignés dans la demi-teinte plantent le décor.
Viennent ensuite quelques apparitions que le récit ne tente pas d’expliquer et qu’il maintient dans le mystère : au premier plan une vieille femme traverse un champ regard-caméra, une jeune femme ensuite surgit dans la boutique du héros et semble l’hypnotiser. Le plus étonnant est sans doute la rencontre entre onirisme et terreur avec le grand chien dans la nuit. Vacant et flottant, Yusuf a toujours ce regard ahuri de rêveur dans un espace apparemment poreux où tout peut arriver. Un tropisme russe nourrit très certainement l’imaginaire presque mystique de Yumurta (entre Dostoïevski et Tarkovski). La fragmentation du récit en scènes-signes séparées par des éclipses réussit à produire sa propre logique. Pourtant, entre ces belles scènes le temps s’étire un peu trop et le récit s’efface dans la pose d’une contemplation immobile qui peut agacer.