Jusqu’où ira la télé réalité ? La question n’est pas toute neuve (Le Prix du danger, Yves Boisset, 1982), mais voilà qu’elle taraude le documentariste Bill Guttentag, qui pour sa première fiction propose une anticipation rapprochée. Katy, working girl décomplexée, radicalise Qui veut gagner des millions ?, remplaçant le quizz culturel par un 357 magnum armé d’une balle réelle. Roulette russe donc, que la petite équipe entend étayer de ressorts dramatiques imparables : diversité des candidats dont on loue la représentativité et le charisme (les suicidaires sont recalés), classiquement portraiturés façon Endemol entre dosages de clichés sociologiques et respect du politiquement correct. Comme Bill Guttentag est là pour réfléchir sur l’exploitation sans limite des images, il déguise son film en making of de l’émission.
Productrice du film, Eva Mendes campe la squale cathodique hyper sexy, en mal d’affection une fois rentrée dans son chez elle rutilant. Preuve par neuf que c’est la télé qui mène les individus par la zapette, impose le spectacle, réveille l’instinct du tueur-voyeur-cynique en chacun de nous – liste de poncifs non exhaustive. Choix pertinent néanmoins puisque Mendes est à la croisée des chemins entre vulgarité, tendresse et sex appeal pigeonnant, bombe indécrottable à la limite du freak. Les Farrelly, avec Deux en un, furent parmi les premiers à saisir cette handicapante insouciance sexuelle de l’actrice que Bill Guttentag exploite assez finement. Katy a beau évoquer l’émission comme un fait majeur dans l’histoire de l’Amérique, son discours s’éparpille au profit de sa représentation plastifiée : corps enveloppé d’une fringue différente à chaque plan, une batte de baseball (en mousse) ou une cravache à la main. La télé réalité en somme dont la gangue tapageuse provoque le mépris des mondains.
Pas si grave puisque le monde cède au tapage, moment délicieux surtout s’il est partagé, auquel le film ne résiste pas non plus. Ses meilleurs moments tiennent moins dans la satire (archi-convenue) que dans la sage application des règles du reality show. Scoop à la une, la mort en direct, même grossièrement comme ici (on se doute que les premiers pressages de gâchette ne sont pas fatals), ça fonctionne. La télé plus forte que le cinoche ? Ici c’est évident tant Guttentag s’échine à dévoiler ce que la télé réalité exploite en toute transparence : la violence et le questionnement moral qui s’ensuit.