Le cinéma pour enfants a ceci de balourd qu’il propose invariablement le même défi allégorique du monde des adultes. Djamel Bensalah, qui a marqué au fer rouge la mémoire du blockbuster à la française (Le Raid) s’y met à son tour. Big city, c’est donc un village du farwest à la Lucky Luke où les adultes sont partis faire la nique aux Indiens de l’autre côté du fleuve. Livrés à eux-mêmes, les mômes reprennent le flambeau de leurs parents respectifs : les Noirs grattent le sol de la classe, le Chinois vend fruits et légumes, la descendance de la péripatéticienne monnaye smacks et bisous un dollar pièce. Les notables exploitent les prolos et persécutent les Indiens (campés par des acteurs d’origine arabe). Lueur d’espoir : réac comme son père, le petit héros de la bande vire sa cuti.
Deux choses. D’abord, Big city rejoint le no man’s land narratif dans lequel échouent systématiquement toutes les tentatives maousses du cinéma d’exploitation à la française. Une fois le décor planté et le pitch déroulé, rien à faire. Les plans s’entrechoquent comme des phrases sans queues ni têtes avec une mystérieuse raideur. Mystérieuse, car une fois de plus, on trouve là les ingrédients d’une honnête comédie d’aventure qui ne demandaient qu’à être mijotés : trois ou quatre personnages clés, une série d’enjeux pas plus rabougris que d’autres (histoire d’amour, lutte des classes), que Bensalah hache menu. Ignorance ou fuite en avant ? On penche pour la deuxième option, tant le film se borne à secouer l’histoire plutôt qu’à la bichonner. Au constat de solitude des enfants répond une séquence pubarde pour biscuits enrobés, le coup de foudre entre la fille du maire et son homologue indien est expédié en un plan – et le film de braquer à 90 degrés avec une grâce éléphantesque. La fable chevillée au kid movie n’appelait pourtant, au contraire, qu’à soigner rouages et dialogues, défaire avec gourmandise chaque noeud dramatique.
Ensuite, ce syndrome du décorum soigné aux petits oignons (voir L’Auberge rouge ou L’Ile aux trésors), effort de guerre qui confine à la fierté nationale et par extension à la peur du vide. Au-delà, il révèle un complexe plus profond encore : la rivalité claudicante avec Hollywood, présence ombrageuse dont on ne sait si Bensalah l’assume ou l’ignore. Eddy Mitchell en simili Dean Martin de Rio Bravo laissait croire à une affection distanciée, genre balade goguenarde aux pays des cinéphiles, un peu à la manière d’un Alex de la Iglesia. Et puis non, les messages citoyens bombardés tout du long (anti racisme, anti guerre, écolo), les séquences émotions filmées au raz du sol remettent les choses au clair : Big city n’est qu’un western en short, melting pot ratatiné d’un cinéma dont on fantasme l’universalité et l’ampleur.