Alors que s’éteint peu à peu la collusion inutile minimale vs. mélodie, nous est parvenue une série de disques magiques courant 2007, pour définir une troisième voie, dans les formes et les couleurs que devrait prendre la techno en 2008. On a pu ainsi entendre l’odyssée Balance 012 de Lee Burridge travailler les ambiances au kilomètre, les boucles hyper-mélodiques de citar chez Villalobos, les percussions éloquentes de Gabriel Ananda ou la disco sans futur de Thomas Melchior. Plus ambitieuses encore, les répétitions de False se sont aussi ouvertes aux torpeurs deep sur l’écrasant et bien nommé 2007, pour dégager les horizons micro des orthodoxies éprouvantes dans lesquels M_Nus s’est engagé depuis le début des années 2000. Derniers souffles de cette heureuse bourrasque, Onur Özer et Bruno Pronsato, dont les albums possédés n’en finissent plus de hanter les platines des plus grands (Hawtin, Villalobos).
D’Onur Özer, nous étaient déjà parvenues les promesses d’un Red cabaret EP, marquées de chaudes levées organiques, cordes pincées et frottées jamais entendues au delà des frontières d’Istanbul. Dans le même esprit, Kasmir se veut l’interface pure de deux mondes qui s’ignorent : le traditionnel et le club. De jour, ce sont ainsi les choeurs mystiques qui se confondent dans la liquidité de percussions orientales, respirations dub et tintements de piano (Eclipse). A contrario de nuit, les étoiles sont voilées par d’épais aquariums de fumées rouges, entre lesquels se dégagent quelques pulsations en infra, pour prendre au bassin, agresser et détruire la pensée à renforts de synths stab et cuivres assassins (Innervoice). Le fort d’Onur Özer : écraser des matières rebattues avec une sensibilité autre que la rigidité techno des motors de Detroit -ici des toms moites frappent en souplesse à côté des articulations 4/4, les carillons survolent un horizon désert de mélodies, chargé en atmosphères de plomb et traînées de sables aveuglantes (Sahara).
A l’autre bout de la planète, Steven Ford aka Bruno Pronsato s’est pareillement élevé au delà du Seattle pour touristes et de ses guitares bûcheronnes pour en extraire un langage neuf, de monstruosités volées au savant Rakjö Muller et râles de créatures sous acide. Why cant’ we be like us ? interroge sur l’écoute de soi, la différence, et le rapport aux autres – rappelant en cela au souvenir du mal-être adolescent des 90’s, pour le moral dans les chaussures (At home I’m a tourist), et l’oreille aux superpositions de guitares compressées. La différence étant qu’aujourd’hui la torture s’applique aux percussions: éjectés tout autour de micro motifs house, quelques tortueux labyrinthes de blips aquatiques et tubulaires font leur chemin sur des fingerclaps et escalades de toms africains (Gato y medio). D’autres pièces mutantes, comme An ill collage, multiplient les petits bruits d’égout avant de se fondre en d’improbables arpèges nocturnes. What we wish fait réciter le désabus d’une femme (Te Gusta / I wish), sur quelques accords de pianos qui bouclent comme un disque rayé. Et toujours, à chaque nouveau numéro de piste, une même douleur profonde à admirer les agencements spectaculaires de sons inconfortables (ces pianos qui jouent faux, cordes de basse fracturées et houles de sonars filtrés) sur un groove increvable.
Why can’t we be like us ? est presque en cela un disque de monstres, une galerie d’anomalies génétiques dont l’étrangeté fascine autant après la quinzième écoute, mais dont il faut également entendre le râle poignant de créature bien vivante, et le coeur battre sous une poitrine artificielle. Vous verrez au sortir des clubs, un peu comme un mauvais cauchemar dont on a le souvenir un lendemain matin, vous en échapperez terrifié et meurtri.