Deux films et demi composent American gangster, nouveau poids lourd de Ridley Scott, tranche de mafia dans le Harlem des seventies, assoiffé d’héro et peuplé de flics ripoux. Le premier, porté par Denzel Washington est une étude de caractère chapitrée en actes fondateurs, façon Parrain : transmission philosophique par le chef, cuisine personnelle du gangster qui se fournit en came via les GI du Vietnam et esquive les flics en menant une vie discrète, histoire d’amour qui provoquera son seul accès de frime et sa chute. Déroulé plan-plan dans lequel ni Washington ni Scott ne parviennent à s’emparer du personnage, réduit aux oripeaux du gangster type dont le catimini soi-disant spectaculaire passe rapidement à la trappe : les scènes viriles se suivent et se ressemblent (dont une exécution publique qui assoit le pouvoir du caïd dans le quartier), Denzel s’abreuve de pauses cheftaines.
Le deuxième film est un French connection du pauvre, avec Russell Crowe en Popeye Doyle new age : teigneux, baiseur, honnête jusqu’à l’entêtement ridicule – rendre un million de dollars saisis lors d’une opération, que ses collègues vautours se chargent de ratisser. Corps de boucher sur brushing de petit garçon, Crowe instille une tension digne de son modèle, insufflant un humour mi-narquois mi-bouffon anodin. Du Russell Crowe en barre, présence brute en habits de carnaval qui incite toujours à la défiance, parfois à raison (son capitaine à jabot et dentelles de Master and commander, improbable ancêtre aristocrate de Jean Marie Bigard), souvent à tort (Révélations, Gladiator). A partir de lui, deux ouvertures possibles pour le film : emporter le morceau in extremis malgré un effet périlleux, étendre sa drôle de malice au film tout entier. Hélas, Ridley Scott en reste au stade de l’assaisonnement bio, dupliquant scolairement son petit Friedkin illustré.
Un rapprochement s’impose avec Une Grande année, précédent film du cinéaste, tentative comique dans le Luberon tout en collage publicitaire : American gangster souffre de ce même syndrome patchwork, que le genre auquel il appartient achève de rendre tristement clinique. Du reste, le Ridley Scott film, celui, maniériste et contemplatif qu’on croyait attendre, s’éparpille en mille miettes sur 2h30 vues partout et nulle part : pare-brise détrempé au ralenti par une borne incendie, ghettos animés à triple profondeur de champs, érotisme groovy des belles canes des ouvrières de came, toutes nues dans leur labo. Trop peu pour le grand film ouvertement visé par les studios. Paresse ? Cynisme ? Un peu des deux. American Gangster relève du pur réflexe boulimique qui frappe le cinéaste depuis son retour en grâce début 2000. En résulte une verdeur technique qui en fera toujours un faiseur au-dessus de la moyenne, et d’ailleurs le cinéaste semble ne rien revendiquer d’autre. La crise d’embourgeoisement guette.