Depuis quelques années, le cinéma d’Olivier Assayas s’est construit autour d’un binôme a priori antagoniste. D’un côté, le rock (ses captations de concerts de Sonic Youth ou, plus récemment, de spectacles de Preljocaj), le SM, la mondialisation, la drogue, le jetlag, les nouvelles images, quelque chose de cyberpunk – de Demonlover à Boarding gate, en passant par Clean. De l’autre, plus calmement, le patrimoine, la France française, le prix de l’art, la quête d’un romanesque strictement hexagonal, de Fin août, début septembre à L’Heure d’été, en passant par Les Destinées sentimentales. Unis par une admiration pour le cinéma chinois (Hou Hsiao-hsien surtout, dont la « touche » est constamment en ligne de mire), ces deux horizons cohabitent plus intimement qu’il ne semble, car Assayas, quelque soit le siècle qu’il explore, s’intéresse à un état flottant des choses, aux lieux de transit, aux passages (passage d’un fuseau horaire à un autre, transferts de fonds et d’images dans le capitalisme mondialisé, etc.). Le thème du passage, dans L’Heure d’été, est pris en charge d’une manière très simple par le biais de la question (lourde au demeurant) de l’héritage.
L’Heure d’été, donc : une famille est réunie dans une grande et belle maison de la banlieue parisienne. Une mère (Edith Scob), ses trois enfants (Charles Berling, Juliette Binoche, Jérémy Renier), et la mémoire d’un grand oncle, peintre et collectionneur d’objets d’art déco. Après la mort de la mère, la question de l’héritage se pose ardemment autour de la maison et de la collection : les vendre ou pas ? Beau thème, celui de la maison qu’il faut quitter, cette petite tragédie intime, cette blessure d’enfance qui nous poursuit, des années après. Le problème, c’est que cela n’intéresse pas Assayas. Ce qui l’intéresse, dans la maison, c’est la collection d’oeuvres d’art. Et surtout : combien ça coûte. Ce n’est pas innocent, car le film non seulement passe à côté d’un beau thème, mais surtout révèle quelque chose de ce cinéma, tel qu’il s’agrippe aux effets d’art, aux signatures, à la valeur (financière) des objets. Les oeuvres, comme la présence de Kyle Eastwood (fils de) dans le rôle du copain de Juliette Binoche, comme les baskets Puma que fabrique Jérémy Renier en Chine, sont des marques. Assayas en observe le passage de la collection privée au musée, du privé au patrimonial.
Mais de passage il n’y a pas vraiment : figés dans leur étiquette, dans leur désignation comme oeuvres d’art, celles-ci ne bougent pas. Figées, comme le fou rire absolument faux, complètement forcé de deux personnages qui clôt une séquence – il y a dans le film une raideur de l’interprétation qui confine à la gêne (il suffit de comparer les prestations de Juliette Binoche ici et dans Le Voyage du ballon rouge, dernier film en date du maître d’Assayas, Hou Hsiao-hsien). Rien ne bouge, vraiment ? Si, en fait : la collection change de lieu, de la maison au musée, après avoir été dûment évaluée, expertisée. C’est une manière d’accommodement dont le film ne se plaint pas, calqué qu’il est sur l’atonie de ses personnages, détachés ou désabusés, acceptant, de bonne grâce ou l’oeil éteint, le changement de régime. Restant à la petite hauteur de leur point de vue, dans un spectre étriqué allant du dépit souriant au désintérêt, le film s’interdit toute intervention, toute profanation, aucun mouvement – nul coup de pied dans la fourmilière, mais un simple ajustement de tout avec tout. Et qu’un personnage innocent, hors du coup, confonde la valeur d’art et la valeur d’usage d’un objet (un vase), cela ne suffit pas, pardon, à introduire dans ce jeu triste et un peu médiocre des petits arrangements (avec la modernité, l’art, les signatures, en un mot : l’héritage) ne serait-ce que l’once d’un décalage, le soupçon d’un pas de côté. Cela n’y suffit pas, non plus que l’éprouvant remake de L’Eau froide, avec des djeuns qui dansent dans la maison, qui clôt ce film calé, ajusté, en phase avec lui-même, terriblement immobile.