Refaire du Melville, tentation française logique puisque le prime auteur du Deuxième souffle reste la seule statue du commandeur du polar tricolore. Alain Corneau, qu’on pouvait considérer comme un fils spirituel à la vue de ses films noirs des années 70, s’attaque donc au roman-phare de José Giovanni. Sa vision conteste cependant la toute puissance melvillienne, la retournant en tous points : troquer la sécheresse pour un baroque nostalgique mi-Sergio Leone mi-Wong Kar-wai (afin, dit-il, d’en détourer le mélo de l’écriture, laissée de côté par Jean-Pierre), rester dans les années 60 et enfermer le polar en studio, la modernité passant par les couleurs fluos ou la caméra HD de Miami vice. Pour le rôle de Gu, gangster digne et enragé par des années de cabane, le freluquet Auteuil reprise le costar de Lino et en avant la musique, la même, ligne par ligne. Evadé de son cachot, le caïd trouve refuge chez la belle Manouche (Bellucci), laquelle prépare la cavale de son homme en Italie. Gu, obsédé par la droiture morale et l’indépendance, tente un dernier coup avant de passer la frontière.
L’idée de peinturlurer les idoles a un sens, les cinéastes américains y passent une bonne partie de leur temps depuis les années 60. Ce qui dérange dans la version de Corneau, c’est que la nouvelle grammaire proposée est aussi atrophiée que celle de Melville était riche et pertinente. Quand De Palma refait Scarface, il s’y épanouit de bout en bout, délayant la posture bigarrée. Corneau, lui, annone le baroque. Si son film est cinéphile à mort, il relève d’avantage de la vision d’un copiste sympa mais brouillon, pas virtuose pour deux sous. L’échec du Deuxième souffle réside dans ce constat aussi douloureux que logique : on ne s’improvise pas maniériste. L’acharnement de Corneau et sa kyrielle people en atteste : ralentis foirés, grandiloquence crasse, couleurs dégoulinantes, criardes, laides, le film s’apparente à une grosse bonbonnière dans laquelle personnages et action pure s’engluent à la première image. Pire, l’entêtement est condamné ici à un pur masochisme, lui-même débarrassé du moindre affect. La chaleur léonienne n’est rapidement qu’un mirage, la réalité obéissant plutôt aux ficelles du sitcom bourré de filtres.
La distribution cinq étoiles n’empêche pas le naufrage, à commencer par Auteuil qui compose un Gu minéral à l’intérieur, sapin de Noël à l’extérieur. En témoignent ses séquences romantiques avec Monica Bellucci, emballées en trois clichés promis à vitrification : baisers, enlacements transis, regard sauvage de l’un contre l’oeil enrhumé de l’autre (amour impossible, « non, chéri pas ça ! »). Seul Dutronc sort son épingle du jeu et avec lui le fantasme que le film tienne enfin sa distance, entre élégance de grand sachem et malice chevillée au corps. Luminosité vaine, bien trop faiblarde que le ripolinage bouche d’un coup de rouleau dégoulinant. Seul rayonne longtemps le fantôme de Melville, négatif absolu de Corneau qui renaît à chaque séquence-hommage (la fuite dans le train, les assassinats en voiture) en référence indépassable. Corneau perd beaucoup dans l’affaire : plus qu’un simple gadin, Le deuxième souffle s’affirme comme un reniement identitaire total (remember Série noire il y a 25 ans), aveu de ringardise souffreteux (se mettre à la page à tout prix) autant que triste constat d’impuissance. S’il n’est pas un décalque rehaussé de Julie Lescaut ou un avatar mannien de seconde zone, le polar français des années 2000 peut aussi se décliner en film rétro carnavalesque et dégénéré. Dure réalité : aujourd’hui, rien ne devient possible.