Patrick Bruel au cinéma, nouveau chapitre. L’ex-chanteur à minettes eighties ne peut plus jouer les jeunes flics impulsifs (époque L’Union sacrée), alors il campe les séducteurs discrets. Regards en coin, invitant au plaisir fou d’un smack voire d’un palot, Bruel est une sorte de réincarnation improbable d’un Montand belle époque, improbable félin parce que surjoué toujours, même en pleine sobriété. L’interprète de Marre de cette nana-là restera à jamais l’interprète de Marre de cette nana-là, en quarantaine, avec ride et brioche, petit ou grand rôle. Cruel et implacable. Si dans Un Secret, mélo historique, Claude Miller aimerait l’imposer en « trop beau matou », sportif, érotique jusqu’aux orteils, on ne voit en lui que le relifteur éraillé des chansons d’après-guerre. Bien sensible celui ou celle qui pourrait vibrer quand Patrick joue des biscotos à la barre fixe, débine des bûches à la hachette ou repêche, toutes hormones contenues, Cécile de France de la piscine.
Dire que Bruel bousille Un Secret serait toutefois injuste, tant Miller participe au travail de sape. On se demande bien quelle mouche a frappé un cinéaste aussi expérimenté que lui, dont l’oeuvre honnête se distinguait jusqu’à présent par une quête de justesse. La trame d’Un secret, récit plutôt fin et racé tiré du roman de Philippe Grimbert, permettait pourtant d’y croire : une famille juive pendant la guerre, la destruction d’icelle par le cynisme nazi (l’étoile Jaune « vendue » comme une fierté communautariste), et, au milieu, la passion de deux victimes du système, réunies contre toute logique. Pourtant, Miller cherche les images poétiques, multiplie les points de vue (du fils de Bruel, ado fragile et narrateur, à Bruel lui-même), tente des voyages dans le temps, passe du noir et blanc (le présent, enfin 1985) à la couleur (la guerre).
Flirtant avec la reconstitution pantouflarde (le traditionnel écueil de la maison de poupée, avec références contemporaines en contreplaqué : « t’as vu La Grande illusion ? »), il sombre dans un délire transformiste à la Patrick Sébastien (Bruel en cheveux gris et maquillage parcheminé, impossible de faire plus grotesque), paradoxalement porté par un souci de vérisme difficile à digérer (la séquence avec Serge Klarsfeld, summum de l’échec). Bizarre, tant le mélo à l’ancienne semblait trouver facilement ses marques. Louable était l’intention de cheviller la mise en scène à la révélation progressive du fameux secret ; mais le déguiser d’accessoires de cirque, c’est autre chose.