Il n’y a personne dans les tombes est le troisième volet de l’ambitieux projet romanesque qu’a entamé Taillandier en 2005 avec Option paradis : « La Grande Intrigue », une fresque pentalogique explorant les métamorphoses du siècle à travers cinq générations. La dimension polyphonique et éclatée est ici totalement assumé, chaque chapitre correspondant à un personnage ou à une famille, et chaque personnage étant lié d’une manière ou d’une autre à ceux qui l’entourent.
Mais Taillandier utilise aussi des procédés littéraires spécifiques, appropriés à chaque chapitre, ce qui confère une grande dynamique à ce kaléidoscope humain et temporel. Les analyses percutantes de « Charlemagne » (le philosophe théoricien de l' »Option paradis », rencontré dans les deux premiers volumes) ne sont pas prolongées ici, mais on assiste en revanche au déploiement d’une multitude de subjectivités critiques qui fournissent des charges admirables contre la marche du monde, sans pour autant qu’une nostalgie réactionnaire revendiquée en pose le contrepoint. Pas de vision du monde close et déterminée, donc, mais une belle collection d’énigmes et d’attaques pour un roman semblable à un miroir brisé. Taillandier y campe en outre une nouvelle figure très convaincante : Athanase, un Africain bruxellois qui décide de devenir écrivain, personnage anti-politiquement correct qui se trouve à la croisée de l’Europe et de l’Afrique, de mémoires enfouies, de désastres passés et présents, et d’un futur plus qu’incertain.
En dépit de son éclatement, Il n’y a personne dans les tombes maintient sa cohérence par son atmosphère et grâce au superbe couple de cousins que forment Louise et Nicolas ; ensemble, ils reconduisent le lecteur au mystère, au sexe et à la mort qui sous-tendent la multiplicité des histoires et des temps. Et puis, au centre du livre, au point nodal de toutes les trames, le tombeau vide du Christ renferme l’énigme essentielle et évoque, sinon la résurrection, au moins la persistance des morts, persistance obscure et tenace qui justifie autant le titre de cet excellent roman que le vaste projet dans lequel il s’inscrit.