Les trois Histoires de fantômes japonais initiées par le producteur Takashige Ishise (The Grudge, Ring) sont l’occasion de retrouver logés à la même enseigne (un long métrage pour chacun) les deux champions du genre, Kurosawa et Nakata. Alors que Shimizu (Réincarnation) traîne loin derrière, Nakata demeure fidèle à sa trajectoire : non pas, comme Kurosawa, dans un rapport centrifuge au genre (le côté auteur qui colle à la peau du cinéaste), mais au contraire dans une dépendance totale vis-à-vis de lois et d’origines attisées comme les braises d’un passé fétichisé. En ce sens, Kaidan (le titre lui-même vaut comme programme littéral) ramène à la logique qui situerait Kurosawa dans une expérimentation in vivo du genre et Nakata dans une expérimentation in vitro : un cadre strict et des règles au coeur desquelles on travaille ensuite.
C’est dans son rapport maniériste aux classiques du kaidan-movie de Nobuo Nakagawa, pionnier du genre dans les années 1950, que se dessine le projet : passage du noir et blanc à la couleur, équilibre du cinémascope, perspectives dures des plans, scintillements de la photographie. Tout est propre, clean et minéral ici, jusqu’à l’intrigue réglée comme du papier à musique : dans un lointain passé, un sort menace les amours d’un jeune ephèbe qui sème la zizanie parmi les femmes d’un village. Programmatique, le cinéma de Nakata sépare impeccablement monde des morts et monde des vivants dans une raideur imperméable à toute transmission ou contamination. Seul la vision, ou l’hallucination, permettent de faire riper le fluide déroulé des images : alors surgit une terreur qui doit autant aux effets de latence et de trompe-l’oeil dont le cinéaste a le secret (le bébé mort depuis des jours qu’on croyait endormi les yeux ouverts) qu’à la manière d’opposer des matières inconciliables : vivacité classique contre érotisme engourdi, texturea artisanale des décors et des costumes contre effets numériques dernier cri. La beauté irréelle crée par cette intrusion lente du numérique (le passage de la pluie à la neige dans une atmosphère de rêve éveillé) est la plus belle part de ce kaidan-movie sans surprise, mais au charme puissant et durable.