Gabriel (François Cluzet) sort de prison. On est en 1979. En France. Son frère est flic. Il s’appelle François (Guillaume Canet). Bien que réticent, le frère flic aide le frère truand – le loge, lui trouve un boulot à l’Intermarché. C’est ça, les liens du sang. Mais sans la sécheresse des faits. Parce que pour Maillot, il faut donner le contexte, et pour Maillot, le contexte est familial, affectif, sentimental. Il faut montrer Tata qui demande à François d’aider Gaby pour faire plaisir à Papa, montrer Gaby qui tient la main de Papa parce qu’il l’aime, montrer François qui demande à Papa pourquoi il n’a jamais dit que Maman voulait le garder près d’elle ainsi que Gaby. Les 52 premières minutes, chronique des semaines qui suivent la libération de Gabriel, sont une ode à l’Amicale de la vie heureuse : blessures qu’on panse, crises qu’on calme, confidences qu’on se fait, petites promesses d’avenir, petits règlements avec le passé ou souvenirs-souvenirs au son de l’accordéon. Les scènes se concluent avec des phrases du type : « Ca me fait plaisir pour tous les deux », ou « Fallait que tu me le dises, et puis je t’aime bien ».
Maillot s’est immergé dans l’histoire vraie des frères Papet (il en a tiré un premier scénario de 700 pages), a lu leurs livres (Deux frères : flic et truand, Bruno et Michel Papet, 1999 ; ou J’ai tué… J’ai payé… Le Sang de la colère, Michel Papet, 2007), les a rencontrés. Mais sous couvert d’une reconstitution historique du milieu (flics, truands) et d’une tragédie de la fraternité, il refait Nos vies heureuses (réalisé en 1999). Son idéal, c’est le pique-nique entre potes. Ici, les potes sont d’ex-taulards. Là-bas, c’étaient des trentenaires qui parlaient de leurs états d’âme et croisaient leurs destinées sociologico-sentimentales dans les petits bars et les appartements de Montmartre et de Belleville.
Les films de Maillot entretiennent un curieux rapport au temps. Ses personnages semblent éprouver les uns pour les autres des sentiments qu’ils revisitent plutôt qu’ils ne les vivent. Et Maillot semble filmer en se projetant en aval de la scène, quand elle sera devenue un souvenir, parce que tous les souvenirs émeuvent son coeur. L’album de famille et le sentiment rétrospectif vont contre l’idée d’intrigue. L’approche aurait pu être originale pour un polar. Mais il aurait fallu prendre son parti : le film de copains, de famille, fait de retours sentimentaux et de sentimentalité rétrospective – à filmer par petites touches, en vrai impressionniste de coeur. Ici, Maillot se contente de délayer une intrigue dont il reste cependant esclave, comme il reste esclave de la reconstitution (costumes et accessoires). Un exemple : la direction d’acteurs, et précisément de François Cluzet dont c’est le premier rôle de truand. La première fois qu’il apparaît, on a envie de rire : moustache et perruque à la Zappa. Ca, c’est la clause « reconstitution ». Ensuite, il est successivement un repenti sincère, un fils loyal, un vieux beau amoureux, un flambeur colérique, un papa négligeant, un ex-proxénète cruel, un vrai salaud, un faux salaud, un faux frère, un vrai frère, etc. Il est tout ça puisque les épisodes multiples exigent qu’il soit tout ça. C’est la clause « richesse de l’intrigue », aux dépens de la chronique sentimentale. Alors qu’il change de coiffure, de costume, de comportement à chaque épisode, l’acteur force le trait et s’agite comme un clown, entre le teint trop blafard et la vie trop haute en couleurs du personnage. Quand il grimace avec un air bébête chez Chabrol, Thomas Vincent ou Christian Vincent, Cluzet sait être brillant dans l’ambivalence : vrai ou faux gentil ? Il aurait pu, si Maillot avait tenu son film, exceller dans un rôle de faux dur : un personnage de vrai dur revu au filtre des sentiments.
Dans les cinquante deux minutes qui suivent les cinquante deux premières, le film change, traite de vies malheureuses. Le truand rempile, le flic est muté à cause de son frère et son enquête le mène fatalement à Gabriel. Il y a des scènes de genre (meurtres, braquages, interventions policières), les dilemmes s’aiguisent, mais comme en trop, égarés dans le petit monde des confidences et des engueulades entre potes.