Second film de la fratrie Elkabetz après Prendre femme, Les Sept jours vaut aussi comme deuxième volet d’une trilogie. Il y a trois ans, Prendre femme fut remarqué, et il était remarquable à plus d’un titre, en même temps qu’il se donnait comme un tout petit film, fragile, tout juste sauvé de la banalité par la fermeté de son dispositif. Plus rond, plus plein, Les Sept jours concentre et diffracte. Ça n’a rien d’un paradoxe : d’abord parce que pareille contradiction est au coeur des problématiques qui animent le cinéma des Elkabetz ; ensuite parce que, comme on dit, le film a souvent les qualités de ses défauts. On retrouve Vivianne, le personnage joué par Ronit Elkabetz elle-même (d’autres l’ont déjà dit pour nous : actrice passionnante, magnétique), toujours pas divorcée d’Elihaou qui craint toujours autant les foudres du rabbinat. Prendre femme s’ouvrait sur son visage muet et claquemuré entre deux instances complices : la famille et la tradition. Les Sept jours explore plus avant cette asphyxie mais déploie le propos sur la famille entière, à l’occasion d’un enterrement : un frère est mort, et, conformément à la coutume juive, les proches sont tenus de se réunir dans la maison du défunt pour sept jours de deuil en vase clos.
On passe ainsi du huis clos conjugal à celui du deuil en famille, option film choral. A priori, ce dispositif-là plombe, pour avoir été trop vu ailleurs – et on sait, généralement, pour quelle réussite. On en connaît l’architecture (l’éternel gymkhana des affects familiaux, de la cuisine au salon, du salon aux chambres, des chambres à la salle de bains où l’on s’exile pour pleurer ou fumer un joint), et Les sept jours s’y coule d’abord un peu mollement, rappelant l’ennui de quelques fleurons français d’un tel micro-genre. Cette application à en reconduire les clichés (les rancoeurs de famille qui refont surface, les chicaneries fraternelles, les couples usés, la célibataire qui voudrait en profiter pour emballer) déçoit et en même temps, l’espèce de principe thermodynamique qui a toujours été la loi du genre (la réunion de famille comme une cocotte minute dont les soupapes doivent péter une à une) se prête plutôt bien aux obsessions des Elkabetz.
Les Sept jours, disait-on, diffracte en même temps qu’il resserre les enjeux de Prendre femme. Il diffracte en distribuant la souffrance du personnage de Vivianne à chacun des membres du groupe, en élargissant l’horizon du récit (le film est drôle), et il concentre parce que le motif de l’asphyxie (l’individu assiégé par le groupe) tire partie de tout ce qu’a à offrir le cadre du film de deuil. C’est un deuil particulier puisque la tradition, ici, impose une série de contraintes un peu absurdes (l’interdiction de sortir de la maison, de se laver, de dormir dans un lit…) qui précipitent la guerre des nerfs et donnent lieu à quelques belles séquences vers la fin. Au total, trois niveaux d’asphyxie, trois goulets d’étranglement qui prennent le relais, trois fois la communauté : la famille, la tradition, l’Histoire. Prendre femme se passait à la fin des 70’s, durant les trois jours qui précèdent le Shabbat ; Les Sept jours se tient en pleine guerre du Golfe, et rajoute un motif programmatique : le masque à gaz, dont les personnages doivent se parer, en un geste un peu absurde, à chaque alerte. L’exposition est très belle : au bord de la tombe, les pleureuses sont réunies en chœur antique, sur jouant la douleur réglementée par la tradition, puis l’alarme sonne, et on installe les masques. Une heure et une autre alerte plus loin, on devra les porter à nouveau après que le huis clos aura fait sortir de vraies larmes. Pour quelques détails comme celui-ci, Les Sept jours vaut bien qu’on lui pardonne ses errements du côté d’une chronique chorale usée jusqu’à la corde.