A l’origine, Rob Stewart ne comptait pas couper les cheveux en quatre. Ce jeune photographe sous-marin entendait pousser la sonnette d’alarme sur l’extinction des requins, à coups d’images choc, d’amalgames et de statistiques. Entre deux squales asphyxiant dans les filets de pêche, les chiffres s’égrainent en de longs inserts noirs nappés d’une musique que renierait pas un producteur de magazine sociétal pour M6 : les requins tuent cinq personnes par an pendant que les tigres et les éléphants en croquent une centaine, sans compter le million d’accidents mortels en voitures (injustice totale : l’homme aime la voiture et pas les requins). Soient des violons et des roulements de tambours qui renvoient le documentaire au brûlot simplet, avec un pouvoir de consternation idoine. Pourtant, à l’image, Rob Stewart, acteur-plongeur pour le plaisir et pour la cause, est si juvénile que le procédé sensationnaliste bascule dans un lyrisme adolescent plus touchant qu’un Michael Moore et un Herzog réunis. Pas de doute, entre le découpage home movie et l’ambiance boy scout nombriliste (« tout petit déjà j’aimais les sharks »), la naïveté du film n’est pas feinte.
Seulement voilà, le cours des événements tord le récital argumentaire à la manière d’un abordage pirate. Et Stewart d’adapter sa fougue militante. Parti dans le navire d’un activiste de Greenpeace filmer l’extinction d’un site au large du Costa Rica (mais surtout câliner l’aileron chéri à la Jean Marc Barr), il découvre en chemin lesdits extincteurs, coupeurs d’ailerons en barquette à la solde de mafias asiatiques. Dès lors, les effets traditionnels d’indignation se voient doubler par la puissance des faits : au lieu de saisir la désolation d’une bataille perdue, le documentaire enregistre l’horreur en temps réel. Mieux, elle y prend part, un peu à son corps défendant. Stewart n’est qu’un mousse sur le bateau et son capitaine un Robert Ménard des mers qui envoie littéralement son bâtiment foncer sur celui des braconniers.
A la dramaturgie Youtube (de « l’accident », de l’imprévu) s’agrège un thriller politique. Assigné à un port du Costa Rica par une escouade de garde-côtes corrompus jusqu’aux os, l’équipage en profite pour enquêter sur les trafics mafieux d’ailerons de requin. Stewart découvre les hangars où des kilomètres d’ailerons sectionnés sèchent au soleil, les ouvriers paniqués qui mettent la came à l’abri. Contre-champ absolu du premier tiers du film : les traqueurs deviennent fuyards, et les images volées un journal de bord de guérilla. Stewart est à deux doigts de perdre sa jambe, filme la résistance en marche (il retourne clandestinement au Costa Rica, où il est reçu en sauveur par la population) tout en structurant sa conscience militante. Cette manière de reprendre le contrôle des images et de s’y abandonner dans le même temps (peur de mourir, jouissance de produire des effets) est assez fascinante. Le militantisme de Stewart mûrit à vue d’oeil, autant que sa conscience de cinéaste. Beau travail, belles perspectives.