Souvent, Sabo livrent des chroniques musicales fortes qui encrassent joliment les oreilles ; parfois, aussi, il sait toucher le cerveau, et nous voilà comme pris par des sursauts joyeux qui égayent et laissent rêveur, avec un arrière goût de nostalgie. En face des grisailles tournantes qui nous entourent, les trois membres du groupe élaborent une musique qui fait monter les Fender Rhodes et la guitare acoustique, liés à la voix d’un chanteur atypique : Armand Gonzalez, qui exhale ses accents à la fois gutturaux et sensibles, possède ce truc qui fait qu’on reconnaît sa voix immédiatement dès la première salve. Derrière les souvenirs de février qui font frétiller une boite à rythmes en l’enveloppant d’orgue nonchalant et de choeurs qui râlent, d’élocutions qui ne dorment pas toujours (« Jai raclé comme un cinglé tout ce qui pouvait traîner, je les ai rencontré, mais ne me demande pas qui c’est. Je te le dirais. Amis amis centaines d’amis qui sont ces amis je ne les connais pas… »), interrompues magistralement par les mot râlés d’un plaisir baroque (« Qu’est ce que c’est ? »), d’un Armand Gonzalez manifestement en grande forme.
La nouveauté pour lui, c’est évidemment le chant en français. Les prodigieux morceaux de son ancien groupe Sloy étaient principalement chantés dans un virevoltant langage « mi-cockney, mi-post-punk », « mi-amerloque, mi-Seatle dans la gorge »… Le teint faussement festif de Gonzalez violait alors les règles de la sémantique anglophone, faisant du chanteur – et du groupe – un atypique, un caméléon, arc-bouté sur des guitares robustes et une batterie de feu. Chez Sabo, pas de batterie grasse, mais des battements où l’atmosphère et l’ivresse prédominent grâce à des jeux de percussions délicates qui combinent leurs troubles avec de jolies clapotis et des dédales minimalistes de boites à rythmes avenantes (7 heures 20 route de Valras plage). Il y a dans 8 saisons à l’ombre une nuée de satellites orangés parfaitement installés, des miettes d’atmosphères âpres mais délicieuses (J’ai vendu ma peau, superbe tranche de vie à l’arrache), emportées mais attentionnées (Requiem pour un gangster imaginaire). Ici, les sifflements résonnent sur la plage tandis que la basse sautille, crachote ça et là et touche un peu la mer. L’été et le Guiro sont même de la partie.
Ce qui force d’entrée de jeu l’admiration dans ce projet, c’est le boulot mélodique et harmonique des rondelles d’existences que Sabo offre sur chaque titre. Des petits bouts de vie qui seraient les frères jumeaux des Herman Düne, en mode France et Navarre, Paris et placard, cours de Mambo et Salsa, Rumba et Java, salles de boxes et cinémas de banlieues où l’on emmerde le monde à coup de cris rauques, à quatre heures du matin sur le marché ou dans un commissariat. N’importe où en fait. C’est du Sabo qu’on aimerait voir sur Canal + et dans tous les festivals. Un bon direct avec Armand Gonzalez chez Denisot, n’est-ce pas ? Ca rappellerait l’époque où le chanteur de Sloy avait failli casser un instrument sur la tête de Gildas.