C’est un gimmick qu’on entend partout en ce moment, chez Smith’n’Hack (Space warrior – cf. Chronic’art #38, en kiosque), chez Minilogue (le Space Ep, chez Traum), partout des moteurs rugissent, des turbines s’emballent, partout des machines élancées, un peu vulgaires, démarrent et s’envolent. Trance ou quoi ? Il se passe quelque chose près des étoiles, en tout cas, c’est une certitude, et la guerre interstellaire est au coin de la galaxie. Pendant ce temps-là, pourtant, quelques pragmatiques, vrais romantiques du dedans, continuent à fouler les ruines des usines General Motors, Nascar TV qui clignote dans une fenêtre dans un coin du desktop, print Indianapolis sur le teesh troué, à penser en verticale. On se rappelle des arachnéennes tracks de la série Concept de Richie Hawtin, mobiles soniques de techno sans origine, vidée par le milieu, qui déroulèrent tout au long de l’année 1996 leurs formes étranges, loin du romantisme motorique des disques de Plastikman. L’heure était alors à la tentative à tout va, à l’épuisement des formats, Mika Vainio pouvait tenir tête à la techno nation avec un kick et un bleep, Thomas Brinkmann, Robert Hood ou Daniel Bell remplissaient des disques avec à peine plus dans la pogne, le monde lévitait béat dans la complaisance sans borne d’un minimalisme qui flirtait, sauvage, avec le silence des microbes. Onze années de routes et détours abscons plus tard, un peu la mort dans l’âme, le prodige Matthew Dear, célébré ailleurs pour la violence old school, analogique et sexuelle d’Audion ou pour ses beaux disques de tech-no-wave chantée sans pseudo (le très beaux Asa breed est sorti cet été), emballe une heure magistrale d’explorations multi-binaires, fuite en avant bien accrochée sur le bitume sans se soucier une seconde de ce qui se passe dans les cieux. Et peu importe si le circuit est une boucle : la musique de ce 2007 brûlant défile de l’intérieur du cockpit, là où ça rebondit sec, là où la route semble infinie.
Quatre ans après un premier album éponyme sur +8, Dear réanime son pseudo False pour M_nus, l’autre label de Hawtin, pour étaler, enchaîner, mélanger bangers (Fed on youth), interludes et inédits, et se plie corps et âme à la trinité de ce temple du minimalisme : tenir la cadence, tenir la distance, tenir les rênes. Dans la gourde, beaux sons, beaux carillons, à l’horizon, un monument vertigineux construit avec presque rien. Tout démarre par le rugissement des moteurs, quelques coups de fouets, et, sur le papier, un canevas tout simple, un pied gras mou, invisible, des toms qui chantonnent, des matières écrasées qui font swinguer le beat via quelques écheveaux de filtres, quelques résonances liquides. Immédiatement, on est, doublement, en terrain conquis : des architectures, anciennes, qui semblent résonner d’une décade en arrière, coordonnent une palette sonique reconnaissable entre toutes, terrain d’entente précieux entre analogique croustillant, plein de souffle, et précision (dynamique, richesse de spectre) numérique. Des titres, souvent brillants (Meat me in the market, Adieu False heart) ironisent le contenu, totalement abstrait (tout juste si quelques nappes de synthèses miment des voitures qui nous dépassent, à peine si les fantômes de voix arrivent à faire entendre des mots dans les motifs qu’ils accouchent avec les snares en carton et les cymbales en bois) mais la ballade est continue, admirablement technoïde, et enchaîne, enrichit, appauvrit, articule les matières, les solides et les liquides. Pour le reste, rien à entendre, rien n’est dit, car tout est, comme à l’intérieur d’une beatbox, affaire de grammaire, de formes justes comme de fautes de syntaxe, petits décalages de samples calés sur un tachyon, toms qui s’envolent dans les delays mélangés, et l’on dira, à tort, pour la énième fois que la musique enregistrée, calée, sculptée ici est froide, dénuée de cœur, et l’on s’enfuira, à tort aussi, peut-être, admirer les matières de Dear empaqueter les chansons froides et élastiques de ses disques simili-pop. C’est pourtant dans les climats de ce False-là, Audion tempéré, refroidi de tout crescendo, de toute virilité martiale et minimal techno cassante, sexy, jamais casse-burnes (on y entend bien plus le grand frère Disco D que n’importe quel autre producer relou de minimal papier-peint) que Matthew Dear parle le mieux sa propre langue : celle d’un beatmaker effroyablement crédible, précis, engagé. Ce 2007 aussi désertique que puissant est peut-être son meilleur disque.