Les films de Steve Buscemi sont généralement au diapason de ses qualités d’acteur : même mélange d’humilité et de précision, même façon de regarder le monde avec les yeux de celui pour qui la vie n’est qu’un monceau de complications, même physique passe-partout et pourtant si singulier, même humanité dévorante, tapie derrière l’apparente bêtise du réel. Buscemi-acteur a construit une œuvre dont Buscemi-réalisateur reprend le flambeau, même si ce second Buscemi n’est jamais plaintif comme peuvent l’être jusqu’au comique les personnages qu’il incarne ; ainsi par exemple de Animal Factory ou de son mésestimé Lonesome Jim, dont la fibre mélancolique et dépressive est souvent déchirante de retenue. Son quatrième film, Inteview, est l’adaptation d’un film que Theo Van Gogh réalisa en 2003, dont le point de départ aurait pu être celui d’une comédie américaine classique sur les couples mal assortis : un journaliste politique enrage d’être envoyé par son journal interviewer une vedette de soap opera alors qu’un événement secoue la Maison Blanche. Un climat électrique et délétère a raison de l’entretien, qui tourne court. Mais par un coup du sort, le journaliste se retrouve dans le loft de la belle où s’engage un jeu de vérités et de mensonges, un affrontement psychologique fait de mots doux et de piques venimeuses.
Le cynisme du scénario (dont on se gardera bien de dévoiler le twist final), le côté gadget et lourdement démonstratif du récit, l’antipathie persistante que dégagent les personnages : rien ne permet de comprendre pourquoi Buscemi s’est entiché de cette histoire si ce n’est la réflexion qu’elle engage sur le jeu et par là même sur le métier de comédien. Mais l’argument n’est que rhétorique et jamais on ne voit le moindre attachement à ce qui excède le scénario, l’insistance sur des choses en apparence annexes qui révéleraient des motivations cachées, tout ce qui fait qu’un film trouve sa raison d’être au-delà d’une mécanique d’ensemble. Le scénario est à ce point verrouillé et suffisant dans sa démonstration (il n’est d’ailleurs que ça, une démonstration) qu’il ne reste finalement plus beaucoup d’espace aux acteurs et au réalisateur pour inventer. Au fond, on est à l’aise comme réalisateur comme on l’est dans un rôle. Dans ce scénario-là, Buscemi n’est ni à l’aise ni inspiré. Un raté, certes, ce qui n’empêche pas d’attendre avidement sa prochaine réalisation.