Deux chômeurs taguent leur ancienne boite, la nuit dans le Nord. Fuite rigolarde en BMW, pointe de vitesse sur ZAC, phares éteints. Drame : les deux gogos écrasent un type, découvrent un pactole. Prise de tête : culpabilité, espoir d’une vie meilleure, dualité à la truelle. Le lendemain, même lieu, autre crime. La police découvre une gamine habillée en poupée des années 80. On conclut au crime sadique, un artiste sûrement, qui ne tue pas que pour l’argent. Une jolie profileuse mène l’enquête, petit personnage à zones d’ombre : un flash-back de rapt en noir et blanc pourrait la concerner, elle brûle une bougie sur son étagère chaque soir, fait des bébés toute seule. Revenons au dossier : le labo détecte des poils de loup. Direction : le zoo. Whodunit ? Le gardien déjanté et son collier SM ? Une main en latex qui surplombe la scène ? Les deux ?
Thriller français, tentative X. Hannibal Laicteur aux Corons, il fallait oser. L’audace, Alfred Lot en regorge pour sa première mise en scène. Viser haut, viser juste, varier les plaisirs, en même temps qu’accomplir la greffe parfaite d’Hollywood sur l’Hexagone. Ce qui donne : de l’élégiaque à gogo, du beauf croustillant tendance BD, de la misère sociale bien de chez nous, du récit à tiroirs. Avec une pointe d’humilité qui permet au film de se crasher en toute modestie : en plein plan drague, Eric Caravaca inspecte la bibliothèque de Mélanie Laurent, relève Stephen King, Le Silence des agneaux. Revendiquons. Revendiquons les références, filmons une scène thèse, comme ça c’est plus clair. Le film réussit au moins ceci, détacher l’arrogance des ambitions, rester bien au chaud dans le lit du genre, des genres.
Mais une fois encore se pose la question d’une grammaire portée disparue tout du long. L’envie de servir un repas complet au spectateur est un cache-sexe bien moche. Pas une séquence qui ne se troue, pas un mouvement qui ne bégaie, pas un décor qui ne se détache du storyboard (cf. la chambre de Jonathan Zaccaï aux couleurs du RC Lens, un must). Les acteurs trinquent. Pas Mélanie Laurent, fantasme de ce que pouvait être le film, sobre, méthodique, naturellement lumineux – elle s’en remettra. Gilles Lellouche, c’est moins sûr. Nouvel homme sandwich de l’exploitation française : corps massif à tendance nounours, peut tout jouer, du taré obsessionnel au mec bien pas chanceux, purée de Jean Dujardin et de Gérard Jugnot. Du premier, il prend la densité acteur studieuse de ses films qui ne rigolent pas (Contre-enquête, possible grand frère de cette Chambre des morts) ; du second, l’humanisme Gaston Lagaffe de ses comédies dramatiques popus. Une certitude : Anthony Hopkins n’a jamais trouvé l’autoroute du Nord.