Le mini-game est un péché (la Nintendo DS est son prophète). Il colonise et corrompt la grande majorité des jeux de la portable de Nintendo à la vitesse d’un cheval au galop. Il vous oblige à stopper vos sessions de jeu pendant vos trajets en métro parce que vous n’avez vraiment pas envie que les autres voyageurs vous voient parler à votre DS et vous croient encore plus fou que le clodo qui chante Imagine avec un fort accent roumain. Le mini-game ne sert à rien, ou alors à combler un vide, masquer la misère, comme les QTE dans les jeux d’action les plus récents. Pire : il ne surprend plus, parce que les spécificités de la DS n’ont désormais plus de secrets pour personne. Il y a quelques années, souffler sur un écran tactile, ou le gratouiller avec le stylet, pouvait paraître intrigant, inhabituel, nouveau. Aujourd’hui on exécute la plupart de ces gestes avec l’enthousiasme d’un poinçonneur de tickets de métro.
On parlait de cache-misère. C’est exactement le rôle confié aux mini-games éparpillés dans Hotel Dusk, le dernier point’n’click de CING (studio responsable du sympathique Another code). Masquer tant bien que mal la vraie nature du titre, en détournant l’attention du joueur somnolent. Et si certains sont encore relativement bien intégrés au contexte du jeu et peuvent s’inscrire dans une certaine logique narrative, d’autres semblent au contraire nous tomber dessus comme un cheveu sur la soupe.
Tiens, et si on faisait un bowling ?
Hein, en pleine enquête sur le kidnapping d’une fillette de 12 ans, vous êtes bien sûr qu’il n’y a rien de mieux à faire ? Voilà un jeu qui a vraiment le sens des priorités. Le genre de jeu qui vous met un test de QI sous le nez alors que vous êtes en train d’essayer d’arracher quelques renseignements au barman d’un bistrot miteux…
Sauras-tu redisposer ces 7 pièces de monnaie afin qu’il y en ait 4 d’alignées verticalement et 4 horizontalement ?
Que penser d’un jeu qui vous interrompt toutes les vingt minutes pour vous imposer des épreuves à peine dignes d’un QCM pour futurs bidasses ? Qu’il ne s’assume pas ? Pourtant, en obligeant le joueur à tenir sa DS comme un livre, à 90 degrés, Hotel Dusk ne triche pas vraiment sur ses intentions et énonce implicitement ses objectifs : proposer un roman interactif dans lequel le joueur est immédiatement placé sur des rails, à tel point qu’on se demande comment les concepteurs ont pu trouver le moyen d’y intégrer un système de fins multiples. Evacuons donc rapidement les reproches inhérents à ce genre de dispositif : oui, c’est très linéaire ; oui, il est impossible de prendre un objet si vous n’en avez pas l’utilité immédiate ; oui, les différents clients de l’Hotel s’évaporent comme par magie lorsque l’intrigue n’a plus besoin d’eux, pour mieux réapparaître au beau milieu d’un couloir à certains moments clés de l’histoire – même Mortevielle ou Maupiti Island avaient l’air plus vivants, et pourtant ils ne datent pas d’hier -, oui, chaque problème n’a généralement qu’une seule solution, préparez-vous à tourner en rond une ou deux fois –pas plus parce que le jeu est tout de même très facile. Hotel Dusk, c’est un peu comme les phases d’enquête de Phoenix wright, l’humour en moins, mais avec des déplacements 3D en vue subjective et des personnages subtilement dessinés – ou plutôt joliment crayonnés, ce qui apporte au jeu un style bien à lui – et magnifiquement animés. Les personnages d’Hotel Dusk sont beaux, et c’est une chance parce que vous allez passer le plus clair de votre temps à discuter avec eux, à accoucher leurs névroses, et découvrir petit à petit que tout ce petit monde est lié d’une manière ou d’une autre, à travers un système de dialogue relativement bien troussé… Hasards et coïncidences, genre…
C’est en fait ici que le bât blesse : on peut accepter à peu près tout d’un roman interactif, son game-design indigent, son dirigisme de sous-off’, son rythme raplapla, à condition que le scénario en vaille la chandelle. Or, malgré son esthétique très Détective – le magazine, pas le film de Godard -, Hotel Dusk peine à se hisser au-dessus du niveau d’un épisode de Plus belle la vie, malgré un plot-twist final qui se voudrait explosif mais qui laisse comme un léger sentiment de » tout ça pour ça ? » bien coincé au fond de la gorge. La vraie révélation de Hotel Dusk, c’est que ce n’est pas son gameplay préhistorique qu’il s’emploie vainement et honteusement à masquer avec des énigmes gadgets : c’est le scénar’ d’un film de Claude Lelouch.