Joachim Lafosse a acquis une petite réputation en quelques films (Folie privée, Nue propriété). On peut néanmoins se rappeler un autre ovni de glauque mémoire (L’Autre de Benoît Mariage, sur un couple déprimé en plein plat pays) dont il a écrit le scénario. Ce qui aide immédiatement à remettre les choses à leur place – c’est-à-dire dans la case du duo magique Jean-Marc Barr / Jean-Michel Gibard. La sinistrose croûteuse d’un certain cinéma belge, ses décors à la laideur outrée (nappes et papiers peints délavés, chemises à carreaux hideuses), son esthétique entre marron clair et marron foncé, Lafosse connaît, il s’y sent apparemment comme un poisson-chat dans l’eau croupie. Il suffit, par simple jeu, de s’amuser à regarder chaque nouvelle chemise ou pull du héros à chaque plan pour mesurer à quel point ce sens de l’horreur lynchienne semble inné. Mais le plus antipathique ici demeure cet ancrage dans une forme d’anti-cinéma faisant l’éloge du tout pour se vautrer dans le rien, le minable, le ringard : glande, caméra-stylo, liberté, ennui, dignité prolétaire, amateurisme, vérisme de fond de placard se mêlent ici en une soupe à la grimace indé plus codifiée que n’importe quel genre commercial.
Résultat : un film sur un chômeur désirant faire un film sur sa vie avec une bande de copains dont le but, attention spoiler, est d’être heureux. Voir ce genre de work-in-progress reprenant en tout sérieux le moteur déjà bien pourri des Clés de bagnole de Laurent Baffie, c’est bien sûr se faire mal, le burlesque goguenard du dernier se muant ici en une prétention faussement désinvolte du pire effet. On savait le cinéma belge particulièrement finaud pour enrichir la fameuse « Constellation de la lobotomie heureuse », avec en tête de ligne l’archétypal Pauline et Paulette. Ça rend heureux, contrairement à ce que son titre semble indiquer, entre lui dans la catégorie « Constellation de la lobotomie malheureuse », troquant la marchandise du genre – éloge de la liberté, art pour l’art, prodiges de la fantaisie pour transformer le quotidien et « changer la vie » – contre une sorte d’hymne à la déprime sympatoche, entre misère et illumination. On ne sait pas si ce cinéma rend heureux, mais une chose est sûre : ça sent grave le moisi.