Laura (Belén Rueda) et Carlos (Fernando Cayo) se préparent à ouvrir un foyer pour handicapés dans un beau et grand manoir isolé au bord de la mer – un ancien orphelinat, où Laura fut élevée trente ans auparavant. Leur fils adoptif, Simon (Roger Princep), parle avec des amis imaginaires. Préoccupée par les « amis » de son fils, elle-même en proie à une pulsion régressive, Laura se prête volontiers à une chasse au trésor. Simon tombe, à la fin du jeu, sur son dossier d’adoption. Par quels phénomènes inexplicables ? La confrontation qui suit marque un retour poignant au réalisme : l’enfant hurle que Laura n’est pas sa mère et qu’il va mourir. Il ne tarde pas à disparaître.
Bayona a clairement choisi de ne pas choisir : ne jamais quitter définitivement le terrain du réalisme, ne jamais plonger sans billet retour dans le fantastique. On perçoit l’héroïne à la fois comme une femme en train de perdre la raison (impossibilité de surmonter la mort d’un fils), et comme une mère qui a raison de croire aux fantômes et aux communications extrasensorielles (ils la mèneront sur la trace de son fils). Chaque phénomène irrationnel trouve son explication rationnelle et psychologique, et chaque phénomène rationnel son prolongement irrationnel. Entre observation et empathie, étude de cas (de qui perd la raison) et voyage dans un monde parallèle (de qui voudrait la perdre), le va et vient continuel, original sur le principe, ne parvient pas à lester le film du poids de l’un et du mystère de l’autre, ne suscitant ni la surprise ni le vertige de qui subitement et simultanément prendrait la (double) mesure des choses et des faits. Ressorts rationnels et irrationnels se succèdent plutôt qu’ils ne se déploient l’un dans l’autre.
La vraie raison de cet échec est peut-être que, sur le double terrain, et quel que soit le point de vue (sur Laura, de Laura), le film ne se dépare jamais d’une sentimentalité molle entre la plainte et les larmes, d’une mauvaise psychologisation qui ralentit et embourbe tous les phénomènes, explicables ou inexplicables. De réelles réussites de détail (le décor, le personnage de Bégonia, le traitement pudique de la monstruosité et de la maladie, l’accueil des pensionnaires masqués, l’épisode des médiums) sont noyées dans un film caoutchouteux. Assez élastique pour accueillir tout un tas d’aspects, pour changer de forme et de volume quand la force d’une situation, d’un personnage, d’un sujet pèse sur lui, et pour, malheureusement, reprendre sa forme et son volume de croisière quand la force en question cesse d’agir. Plus-value du réalisme au sein du fantastique (ou vice-versa), sophistication du scénario, catalogage des épisodes et sujets à traiter, mise en scène sagement illustrative, académisme.