A l’approche des nuits d’orage estivales, deux disques font la danse de la pluie et parler la foudre. L’horizon politique est noir, le climat ombragé, et la fièvre gagne les territoires sub-tropicaux. Le souffle belligérant, la somme des Bambusbeats et Soundboy punishments forme tout à la fois un prélude musical à l’affrontement, et son éclatement drogué sous une atmosphère de plomb.
Première des deux décharges électriques à frapper les tambours de guerre, les Bambusbeats de Gabriel Ananda succèdent au 12 pouces Ihre persönliche glücksmelodie, déjà remarqué pour ses battements charnus, clappements bucaux, et ligne de basse térébrante. Ici, la minimale berlinoise croise les territoires chauds d’Afrique – entendre un son froid de blips métalliques pénétrer ses jungles, claquer contre le bois d’un bambou, et résonner à l’oreille d’un shaman tentant de conjurer le sort au lit d’une rivière. Le sorcier fait battre les percussions de ses initiés en hommage aux cieux, leurs pieds émettent des clapotis et, de syncopes en vibrations pulsatives, la gestuelle des uns se mue en convulsion chez les autres, d’un cœur à l’unisson en exercice de transe (Sweet decay). Des énergies communicantes naît un seul et même corps en état de conscience seconde, élagué de ses excroissances mélodiques, au rythme de processions et techniques rituelles résorbant ses affects. L’emphase ne porte plus alors que sur l’éveil de son instinct prédateur et guerrier, travaillant son visage aux peintures de synthèse (Blauer), martelant le sol d’un pas militaire (Trommelstunde) sans autre élan qu’un violent désir de meurtre (Take off). On quitte la circonscription tribale la couleur haute, de tatouages pectoraux en piercings d’argent, au loin, le regard sur un incendie de forêt, les nerfs excités par le hululement d’un grand-duc et sa rémanence nocturne (Jo Jo).
Franchies les lignes adverses, on fait face à tous les sons pressés sur vinyle depuis 2003 sous l’étiquette Skull Disco – soit un double CD de textures fébriles et obsédantes. Soundboy punishments est un lieu maudit, une terre d’affrontements incessants entre les percussions vives et organiques de Shackleton et le dubstep ralenti, lourd et perforant d’Appleblim, co-fondateurs du label. Les deux disques progressent par juxtaposition de leurs compositions, sans jamais voir celles-ci fusionner. Observées du dehors, leurs danses sous haute tension prennent des allures de combat rapproché entre deux guerriers africains sous substances psychoactives, friction ethnique entre deux visions majestueuses du ciel (Tin Foil sky), les yeux vides et rougis par la colère.
D’une incroyable mouvance, la musique de Shackleton démarre les hostilités sur un Hamas Rule, de consonances orientales, noyant l’atmosphère dans un épais nuage de fumée, dans lequel s’embrume Appleblim. Les Girder et Mystical warrior de ce dernier avancent peu, tournent en boucle sans claires variations, comme si leurs basses profondes n’avaient pour cible que les vapeurs opiacées s’échappant de la bouche de Shackleton – son Blood on my hands revisité par Ricardo Villalobos est un long récital de 18 minutes, incantation à la dérive, longue chute à travers un sol qui s’éclipse. Toute tentative frondeuse des Appleblim et Gatekeeper sonne alors définitivement vaine, à l’aune des pouvoirs d’hypnose de Shackleton (Hypno angel). Aussi drogués soient ces prétendants au trône du dubstep, dans leur espoir d’annihiler leur sensibilité à la douleur, aussi bien agiront-ils en shamans, à fondre leurs battements en delays, tous, ce soir, épuiseront leurs énergies devant le sage Shackleton, qui livre un dernier Massacre, avant de se retirer et mettre fin à l’altercation, plaies ouvertes, mental contristé, et visages en pleurs.