Jusqu’ici porté sur les fictions contemporaines avec un certain arrière-plan social, Pierre Jolivet a surpris avec ce projet de film médiéval (genre qui par ailleurs semble connaître un certain regain en France, depuis La Chambre obscure jusqu’au prochain film d’Hélène Angel, Dragon rouge). Que Le Frère du guerrier résulte d’un contrat signé avec Alain Sarde depuis Ma petite entreprise, et que Jolivet ne change en rien ses habitudes de casting (Lindon, Canet et Bérléand ont tous déjà tourné avec lui) n’était pas, à dire vrai, de très bonne augure. L’audace et l’originalité d’un film, l’éventuel dépaysement qu’il procure se perdent d’avance à cause de choix trop attendus. Le Frère du guerrier souffre avant tout de cette insertion trop parfaite, trop calculée dans la carrière du réalisateur : Jolivet s’applique à légitimer son approche de l’histoire médiévale en instillant dans le film ses thèmes de prédilections, et opte pour la continuité plus que pour la rupture, sans remettre en question ni modifier sa démarche de réalisateur.
Arnaud (Guillaume Canet) a reçu de sa mère un savoir médicinal. Il exploite une petite ferme avec sa soeur Guillemette, jusqu’au jour où des brigands venus faire soigner un des leurs le rossent et le volent. Arnaud perd la parole et la mémoire. Guillemette décide de faire appel au frère d’Arnaud, Thomas (Vincent Lindon, peu crédible en mercenaire intrépide) qui va l’aider à retrouver ce savoir perdu existant seulement dans les livres bien gardés par l’Eglise. Avec ce scénario-pensum sur la démocratisation du savoir, en des temps ou les hommes n’ont que la violence en partage, Jolivet risquait de tomber dans le piège du film historique « à contenu ». On peut certes saluer l’effort pour crédibiliser le Moyen-Age, passer outre les grands mythes historiques pour le cerner dans sa réalité prosaïque. On est plus sceptique sur le choix d’acteurs aussi marqués par le cinéma français « d’aujourd’hui », ce casting en porte-à-faux avec les velléités réaliste du film (voire la leçon de latin de l’impayable François Bérléand, comiquement grimé en prêtre). Jolivet, comme toujours, aime à cerner les personnages en montrant leurs difficultés quotidiennes, à les structurer dans leurs désirs face à l’adversité. Trop familiers, les héros du Frère du guerrier restent à ce niveau médiocre d’identification avec des figures contemporaines, au lieu d’atteindre une réelle dimension historique et romanesque.
Face à cette insuffisance, les prétentions du Frère du guerrier à une ampleur épique qu’il n’atteint jamais sont plus que gênantes. La mise en scène de Jolivet se targue d’un dispositif de western à la John Ford (la petite ferme perdue dans la plaine et guettée par le danger), alternant les vastes panoramiques, les scènes d’actions serrées, cherchant aussi à « caser » des scènes intimes et une histoire d’amour. Mais cette réalisation sage et appliquée louche d’avantage vers un savoir-faire à la Patrice Leconte. Derrière ses audaces très calculées, Le Frère du guerrier distille un naturalisme de bon aloi, hélas bien de chez nous…