L’horreur qui réfléchit (au sens, littéral, où elle serait fondée à dresser un miroir où lire tout ou partie de l’époque), cette horreur-là est un territoire désolé. Devant un tel champ de ruines, difficile de ne pas se réjouir un minimum de cette suite des aventures bouchères de Hostel, déclinaison assez habile de ses enjeux en même temps que gommage de ses plus intenables scories. La question aujourd’hui n’est pas tant de savoir si le film d’horreur a toujours les moyens, dans l’absolu, d’assumer sa fonction politique – il lui suffirait de bien vouloir s’élever jusqu’à elle. Le problème est qu’elle se pose au moment le plus platement maniériste du genre (on a beau chanter le retour en grâce du cinéma d’horreur, on attend toujours les films) : ce maniérisme-ci, un peu insipide, régurgitation feignante et normée pratiquée par la génération des vidéoclubs, est-il capable de penser à autre chose qu’aux référents auxquels il prête si plate allégeance ? En plus simple : maintenant que l’innocence est loin derrière, essorée, figée en grand cahier Panini où piocher à l’envi les idées qu’on n’a plus, dans ce contexte de reprise terne, peut-on encore, simplement, faire un grand film d’horreur politique ? En plus imagé : le karaoké est-il propice à la chanson à texte ?
Dans ce contexte, donc, Hostel avait constitué l’an dernier la plus saillante raison d’espérer en même temps que la déception la plus franche. Le film était d’abord le premier à être à peu près présentable, sur cette vaguelette néo-sadique lancée par le piteux Saw à même l’imaginaire Abu Ghraib, peau de chagrin contemporaine des velléités spéculatives du genre. Présentable parce que son sujet (capitalisme et mondialisation façon Salo nerd, les corps dans le système des objets) n’était pas complètement inintéressant. Présentable aussi parce que Roth, après un honnête Cabin fever tout à la gloire de ses modèles, y confirmait une maîtrise indéniable. La première partie du film, sa face teen movie avant la boucherie (la rupture même, d’ailleurs, était assez impressionnante), épatait par son sens du rythme, de la narration, du portrait. Et puis Roth fichait tout en l’air dans sa dernière demi-heure, trop con, comme si lui-même n’entendait rien au potentiel de son sujet, ultimement massacré dans un rire gras. Il n’y avait qu’à voir, après coup, Roth en plein tournage sur les bonus du DVD, hilare entre prothèses tartinées de rouge et figurantes à poil, pour se convaincre qu’entre l’Amerloque à casquette et Pasolini, il y a à peu près autant que, disons, d’Eddie Mitchell à Johnny Cash.
On n’attendait donc pas plus de cette séquelle (pour le brûlot sur la mondialisation, Roth avait loupé le coche), que la reconduction efficace de ce petit artisanat qui faisait le charme de la première moitié de Hostel. Et c’est là que se situe la bonne surprise, puisque c’est précisément en honorant ce contrat minimum avec un brio confirmé que Roth se rattrape, de façon inespérée, sur l’autre versant. L’idée est simple, mais bonne : travailler sur le quasi-remake du premier (toute la structure est à l’identique, à cette différence que les ados en goguette sont ici des filles), façon de repartir à zéro tout en se pliant à la norme actuelle des suites au pays de l’horreur. Sauf que Roth tire intelligemment avantage du fait que le spectateur avance en terrain connu : en bonus du summer tour des minettes, il offre la progression perpendiculaire des deux fringants golden boys par qui les filles seront émincées. Idée simple mais prolifique, installée à la faveur d’une séquence brillante où le portrait des filles fraîchement repérées échoue sur les blackberries de yuppies des quatre coins du globe. La pertinence, même modeste, d’un tel dispositif, excuse beaucoup de choses, et d’ailleurs il y en a plutôt moins à excuser que dans le premier volet (les gags nerds référencés, les cameos des stars transalpines de l’horreur qui tâche, tout cela est finalement assez digeste). Voilà, c’est tout, et c’est déjà pas mal, dans le désert sans bornes dont on parlait plus haut. Un (tout petit) peu rassurés, on attend la suite.