Dire de ce By the ways qu’il constitue un étrange objet (traduction : globalement rasoir et péteux mais percé de quelques moments attrayants), c’est bien le moins que l’on puisse faire. Problème : c’est aussi rentrer dans le jeu de sa très poseuse vacuité, celui, franchement pénible parfois, du « film d’art sur l’art ». Produit par agnès b., qui aime peut-être un peu trop le cinéma, ce « voyage avec William Eggleston » s’avance paré du label « documentaire de création ». Comprendre : c’est pas très documenté, mais c’est bigrement créatif. Par exemple, dans le documentaire de création, on aime bien filmer les paysages depuis la banquette arrière de la bagnole, comme ça, parce qu’on a le temps, qu’on n’est pas chez Zone interdite, et puis avec de la musique, ça pète, quand même. Ici, on s’en donne à cœur joie, mais au moins le film ne cherche pas à tromper sur la marchandise. Avis au spectateur : « il ne s’agit pas exactement d’un film SUR le plus grand photographe de la couleur », explique le dossier de presse. Pas exactement, non.
De cette posture chichiteuse (tout est bon à prendre pourvu que ce soit à côté du sujet et enregistré par opérateur strabique -cf. la laideur inouïe de certains cadres pour faire moderne), By the ways déroule son programme avec une application qui laisse rêveur, jusqu’à proposer une interview cadrée sur les pieds de l’intéressé. Film AUTOUR du photographe, donc, au sens le plus littéral quand la caméra papillonne impuissante autour du maître, ne sachant vraisemblablement quoi en dire, quoi lui demander, quoi en faire, et tentant vainement de combler ce grand vide avec d’insupportables afféteries. Parfois, quand même, le film consent à recentrer un peu le débat, alors il fait défiler quelques tirages de l’artiste, comme on consulte des microfilms à la bibliothèque. Ici se trahit la part la plus insupportablement prétentieuse de l’entreprise, puisque le raccord impossible entre ces diaporamas et la bouillie d’où ils émergent invite à penser qu’il y en a un, de raccord, que cette bouillabaisse en DV fraie sur les traces de quelque chose (mais quoi ?) dont ces illustres tirages constitueraient l’empreinte. Las, évidemment. Restent, quand même, dans les rares séquences qui parlent photo, deux moments assez magiques : une séance de tirage selon le procédé qui a fait la réputation d’Eggleston, et la découverte troublante, dans des archives persos exhumées par son fiston, d’un « plafond bleu », strictement identique au fameux « plafond rouge » (à ceci près qu’il est bleu, donc).
Heureusement, cette dimension péteuse a son envers, qui gagne du terrain à mesure que l’on se rapproche de la délivrance. Ayant épuisé tout son sérieux, c’est comme si le film, à un moment, basculait dans un aveu d’échec rigolard et, tombant le masque, décidait de se coltiner au seul récit digne d’intérêt ici: sa propre impuissance à exister, le refus catégorique que lui oppose son sujet, d’interviews ratées (personne ne coopère, c’est parfois à se tordre) en plans hagards sur absolument n’importe quoi, n’importe comment, comme si en plus du strabisme, les auteurs étaient victimes de black-out en cascade et se demandaient régulièrement ce qu’ils sont venus foutre là. Palme de l’interview catastrophe hilarante : Eggleston lui-même (trois mots et un grognement pour répondre à une batterie de questions métaphysiques), talonné de près par Dennis Hopper (vraisemblablement interrompu au cours d’un barbecue familial, trois minutes à l’écran dont deux à tirer sur son cigare) et David Byrne (qui ne sait pas trop quoi raconter et se fend, pas très convaincu, d’une anecdote à la con). Et il y a une certaine poésie à ces plans sur Eggleston, vieux dandy taiseux et vraiment pas concerné par le film, déambulant entre des buissons son appareil à la main tandis que la caméra tourne et se demande bien pourquoi. De grosse baudruche arty, le film gagne in extremis un charme certain à laisser ainsi se dégonfler l’affaire, suivant une pente presque autoparodique, jusqu’à se conclure sur Peggy Lee chantant « Is that all there is ? » (Is that all there is ? : c’est sûr, arrivés au générique, on se demande). Prendre le parti d’en rire, c’était effectivement ce qu’il y avait de mieux à faire.