Reléguant Selon Charlie ou Le Héros de la famille au rang de chefs-d’oeuvre incandescents, Ma place au soleil, signé Eric de Montalier, petit acteur qui se prend pour un Altman humaniste, est certainement le point de non-retour ultime du film-choral, genre chouchouté ces temps-ci par le cinéma français. Franchement, impossible de tirer la moindre satisfaction de ce truc, d’une nullité obscène. Seule l’autosatisfaction du néo-réalisateur compense un peu la honte absolue que l’on ressent devant ce désastre.
Le film s’ouvre sur un petit lycéen pédalant de toutes ses forces sur vélo (un signe déjà). Pouf, il s’encastre dans la grosse Citroën de Jacques Dutronc qui sort de son garage sans regarder. Dutronc s’excuse, penaud. C’est encore un signe : en fait, il déprime à mort, rincé par la vieillesse et l’inaction. Sa femme (Garcia) l’aime, mais se taperait bien un tango avec son boss, grand benêt souriant et gaffeur (Dussolier), ce qui nous vaut une séquence onirique aussi laide que débile. Les jeunes ne sont pas en reste. Ils doutent eux aussi. Mélanie Doutey aimerait que son boyfriend grandisse un peu (mais lui ne veut pas, il préfère voyager dans sa tête), alors elle couche avec son patron (Girardot), requin vulgaire. Gilles Lelouch est la caution houellebecquienne du casting, célibataire miteux claquant son salaire de prof au peep-show. C’est dommage, parce que Elodie Bouchez le trouve super sex. Ah oui, au milieu, François Cluzet trompe sa femme avec une jeunette, mais il s’en mord les doigts.
Qu’ajouter à cet affreux listing ? On passe sur la psychologie à un euro, sur les élans poétiques d’une lourdeur éléphantesque, sur cette fausse naïveté consistant à filmer le lieu commun comme une défloraison. Le pire, ce sont les acteurs, socle officiel du film et grand truc du moment. En un défilé auto parodique et dégénéré, ils viennent ici faire la même chose qu’ailleurs, ni mieux ni moins bien, horde de mercenaires chouchoutés d’une main, castrés de l’autre. Les vieux routiers radotent : Dussollier brouillonne son rôle de Coeurs, Dutronc fait la gueule, les cheveux dans les yeux. Ils sont professionnels au sens opérationnel du mot : techniciens de films choraux, forcément diminués par la mise en scène, mais pas écrasés non plus, surnageant grâce à leur passé. Ils s’en foutent et nous aussi, neutralité totale. Les jeunes ne valent pas mieux, à l’image de Gilles Lelouche ou Mélanie Doutey, que l’on dirait nés pour jouer dans ce cinéma formaté, condamnés à l’aliénation dès leurs premiers films. A peine distingue-t-on, dans Ma place au soleil, Elodie Bouchez s’accrochant de toutes ces forces à cette grappe écoeurante, dix ans après sa révélation chez Téchiné.