Après Le Pacte des loups, voici Jacquou le croquant, deuxième mastodonte à vouloir moderniser nos fonds de terroir. En pisteur de ce qui ressemble à une hypothétique troisième voie du divertissement populaire, Christophe Gans cède sa place à son frère ès grand barnum visuel, le clippeur-compositeur Laurent Boutonnat dont les clips de Mylène Farmer ont lestement inspiré le premier. Inutile de préciser, donc, que ce Jacquou le croquant fait dans la fanfreluche et le lyrisme campagnard, toutefois dégraissé des sous-textes cinéphiles de son prédécesseur. L’ouverture -un gentil chien détourne la meute de l’affreux comte de Nansac vers la cabane de ses maîtres Jacquou, popa et moman- nous montre l’étendu de la grammaire du réalisateur : grands angles à gogo soulignés par un musique ronflante, amour de la fresque innervée par une poignée d’images d’Epinal, du toutou jappeur à la trogne -glamour- des pèquenots.
Du clip quoi, en plus long. Le rêve de Boutonnat serait de raconter la légende de Jacquou par enfilades de morceaux de bravoures, gros blocs maniérés comprenant exposition et dramaturgie, sans un mot ou presque. D’un point de vue strictement visuel, c’est plutôt bluffant, pas d’un génie criant, mais propre. Parce que le film parvient à créer un univers de toutes pièces, lequel prend rapidement forme, boosté par les certitudes stylisantes du cinéaste. Des décors finement chiadés aux acteurs, pas tous bons mais coulés dans le même moule Jérôme Bosch-Prada, l’habillage s’avère plutôt sympathique, en tout cas pas péteux pour un sou. En revanche, côté narration, la bérézina n’est pas loin. On sent bien que le cinéma n’est pas une affaire de métier pour Boutonnat, mais plutôt une sorte de promotion post-clipesque, un examen de passage perclus de stress et d’ambitions nouées. Comme si le cinéaste se condamnait à se survolter, frappé du syndrome de la performance à tout prix. Ou de la peur du sous-film, ce qui revient au même.
Le film s’en trouve ampoulé à mort, logiquement abruti par son abatage permanent. C’est un fait : dans Jacquou le croquant, se passer le sel ou monter tout un village contre une famille d’aristocrates belliqueux requiert à peu près la même intensité. Voila qui explique 2h30 souffreteuses, apathiques où il se passe à la fois beaucoup (1/3 enfance, 1/3 bouillonnement, 1/3 passage à l’acte) et trois fois rien. Le montage initial approcherait 4 heures. On en doute pas un seul instant, tant le labeur du récit confine au poétique. Outre quelques aberrations nanardisantes (un sommet : Jacquou enfant évoque un terrible incendie de forêt qui figurera certainement en bonus DVD), on voit surtout à quel point la grandiloquence de Boutonnat ne peut que virer au mastoc. Pas de respiration sous le ripolinage, juste une kyrielle d’intentions à animer soi-même.