En tournant Quatre étoiles, Christian Vincent lorgnait sur Lubitsch mais gardait un oeil sur Pierre Salvadori, leader sur le marché. Salvadori, en tournant Hors de prix, n’a d’yeux que pour Lubitsch, puisque dans le genre middle-class de la comédie française chic mais cool, il n’a pas de rival et règne en petit prince. Comme tous les cinéastes français, Salvadori ambitionne la place du centre, fût-il dans la région particulière de la comédie. La place du centre, cela veut dire à équidistance des pentes générales du cinéma français, gaudriole pas nette ou bien, à l’autre bout, fantaisie faux-derche et cul-serré. Cinéma moyen ? Peut-être. Mais qui sait profiter de cet état stable pour huiler sa petite fabrique. Le rapatriement de Gad Elmaleh vers ce territoire-là, lui qui il n’y a pas si longtemps fricotait avec Francis Veber où il devenait à son tour François Pignon, parait naturel : la timide sympathie qu’il dégage, ses yeux clairs et avenants, la gentillesse drôle qui émane de son physique de bon copain, tout chez lui le destine à être dirigé par Salvadori.
Gad Elmaleh, et un hôtel. Comme Quatre étoile, donc, Hors de prix active l’imaginaire riviera (Lubitsch, Haute pègre) des palaces et des pique-assiettes, des gentlemen cambrioleurs. C’est moins ce standing-là que l’hôtel lui-même (ses couloirs, ses portes et ses chambres, ses bars qui ferment tard) qui semble le lieu naturel du cinéma de Salvadori. Gad Elmaleh y incarne un Jean, un serveur consciencieux qu’Irène, une poule de luxe (Audrey Tautou), prend pour un milliardaire. Quiproquo, le film est lancé. Avec lui, un jeu de translations qui invite à s’intéresser moins à l’histoire d’amour et son suspens, qu’au ludique changement de décor qu’elle implique. Par amour, et sans le faire exprès, Jean, après avoir été ruiné par Irène qui d’abord le dédaigne, devient gigolo et trouve soudain grâce à ses yeux. C’est là que le film existe vraiment, y compris dans son comique de faux-semblant. Gag champion : Jean doit raquer pour se payer des suites de luxe, et à la réception fait péter la carte bleue. Bleue, et pas gold ou silver, le pauvre insert sur la pauvre visa caisse d’épargne royalement jetée sur le comptoir est parfait. C’est là que le récit existe vraiment, dans son refus de la love story téléphonée au profit d’une solidarité corporatiste entre les deux personnages, devenus professionnels, un peu putes, mais façon ludique. C’est beaucoup plus touchant. Salvadori, s’il n’a pas le brio d’un grand cinéaste de comédie, a au moins saisi les fondements du genre : le film de couple, la comédie du remariage (le circuit on s’aime/on se perd/on se retrouve) n’a jamais fonctionné autrement que comme art de la camaraderie et de l’amitié.