L’Intouchable, disons-le tout de suite, c’est Benoît Jacquot. Et doublement. Intouchable parce qu’il fait partie de ces cinéastes officiels que la critique n’ose pas égratigner, et il sera d’ailleurs bientôt sanctifié par une rétrospective à la Cinémathèque ; il est donc urgent de croquer Jacquot. Intouchable surtout parce que dans sa quête nunuche de l’adolescence éternelle (trente ans déjà), il ne se laisse toucher par rien d’autre : étourdi par la Fille, il ne voit rien, il ne sent rien. Et pourtant ce nouveau film contenait une promesse : confronter la fébrilité bien française (adolescente et caméra bougées) à l’immobilité éternelle de l’Inde. L’histoire ? Une adolescente part à la recherche de son père indien à Bénarès. Evidemment parce qu’on est blasés, français et intelligents, on ne croit plus à aucune rencontre : pas d’Inde, pas de père, pas de mystère. Mais ce ratage est le sujet même du film, diront les bonnes âmes (poires ?). Soit, alors continuons dans l’autisme.
L’autisme selon Jacquot, c’est quoi ? Pas la peine de chercher midi à 14 heures : c’est le regard béat d’un type gaga devant sa nana. Comme Godard devant Anna Karina ? Non justement, Karina chez Godard est une figure stylisée à panoplie variable alors qu’Isild Le Besco, c’est le naturel au galop. C’était déjà le cas dans La Désenchantée avec Judith Godrèche il y a quinze ans ; depuis l’actrice a changé mais la caméra n’a pas bougé d’un poil, elle bouge toujours. Allez hop, dans la foulée de la jupe de la gamine, la caméra s’engouffre et perd la tête. Alors Isild nue (on en a un peu assez), Isild court, Isild crie. Parce que oui l’adolescence est hystérique. Ça commence fort à grands cris avec des claques, et c’est vrai, les personnages de Jacquot (mères et filles) sont des chieuses qu’on a envie de gifler. Dans la partie française, comme il se doit, l’hystérie bat son plein. C’est une extase continue, l’adolescente écorchée vive-à fleur-de- peau est une battante. L’énergie est sur-signifiée à tous les niveaux, comme chez Assayas, vitesse et mouvement sont les slogans d’une adolescence cliché que le cinéaste suit comme un chien. Que rien n’interfère, surtout : l’idéologie de la pureté va jusqu’à la phobie du reste. Il suffirait d’un peu de distance de la part du cinéaste, d’un minimum de réel face à l’adolescente, tout ce qui fait le prix d’un Larry Clark : l’aller-retour constant entre l’empathie avec ces modèles filmés à hauteur de skate et la distance parfois fulgurante qu’il prend avec leur bêtise ou leur maladresse. L’adolescence intouchable, idéalisée, c’est au contraire la défaite de la pensée : le monde devient adolescent à son tour, il se plie aux désirs de l’enfant-roi. On n’est pas loin de la bêtise satisfaite de Marie-Antoinette de Sofia Coppola.
Le monde ? L’Inde par exemple. C’est un gag : là-bas comme ailleurs, l’oeil est collé à la petite française en minijupe, pas un regard pour ces figurants colorés qui nous rappelleraient presque les grandes heures bwana de Tarzan. En revanche, quand Jacquot ouvre l’oeil, les mystères de l’Inde n’ont qu’à bien se tenir : et vas-y que je te zoome sur la cérémonie de crémation sur les rives du Gange. A défaut de filmer les vivants, filmons les morts et puis admirons le profil de la belle Isild sur fond d’Indien qui brûle. En Inde, le saviez-vous, il y a aussi des mariages somptueux : à défaut de filmer une Indienne du cru, admirons la belle Isild maquillée-déguisée, vous ne trouvez pas qu’elle fait plus indienne que les Indiennes ? En fait si, on croise bien des gens en Inde : un couple d’homos du Marais au bord de la piscine, et puis, surprise !, en mère Theresa la copine chef op’ Caroline Champetier qui fait l’actrice (et bien d’ailleurs). Le monde est petit, petit, petit.
A la fin, le personnage est muet tellement il lui est arrivé de choses. C’est bien, les voyages forment la jeunesse. La jeunesse de Jacquot, elle, semble éternelle. Il serait peut-être temps d’en faire le deuil. Une fois percée sa naïveté infinie, pour ne pas dire plus, L’Intouchable éclate comme une baudruche. Touché-coulé.