Période faste pour les amateurs de piano solo : deux nouveaux albums s’ajoutent aux nombreux déjà parus ces mois derniers, et non les moins intéressants. C’est la première fois que Jacky Terrasson se livre à l’exercice, après neuf albums en leader dans différentes formations et deux cartons internationaux, A Paris et Smile : un disque de la maturité, en quelque sorte, dimension dont témoignent à la fois l’architecture générale du disque (habile, astucieuse, équilibrée, avec une part égale faite aux compositions personnelles et aux reprises et une entrée en matière très réussie sur le Caravan d’Ellington), l’excellence du jeu et, si l’on peut dire, la complétude des climats, héritages et influences explorés. Bagage classique, humour malicieux et sourires en coin (ça joue au jazz aussi bien que du jazz, avec un final de 0’36 sur le thème de Happy birthday ponctué d’un bel éclat de rire), goût de la belle ligne mélodique et du dépouillement (on sait l’intérêt de Terrasson pour les chansons, auxquelles il a consacré tout son disque A Paris et qui transparaissait encire dans Smile à travers sa voluptueuse reprise du Jardin d’hiver chanté par Salvador ; ici, Everything happens to me, lentement et magnifiquement décliné dans l’aigu, constitue l’un des plus beaux moments du disque), attirances romantiques, l’attention ne se relâche jamais au long de ce beau disque qui ne surprendra personne (là n’est pas son propos : Terrasson, si l’on en croit son titre, tend un miroir plus qu’il ne chercher à casser la vitre) mais enchantera les admirateurs du pianiste en particulier et les ceux de piano en général.
De son côté, Martial Solal ne surprend pas non plus : entendez qu’il surprend sans cesse, et continue son subtil travail de déconstruction / reconstruction des thèmes qu’il s’est choisis à travers une petite cinquantaine de minutes d’une musique savante, déconcertante, vigoureuse, presque magique (au sens du » spectacle » de magie) parfois. Là aussi, le Caravan d’Ellington est convoqué ; mais quand Terrasson s’appuyait sur lui pour le faire passer au tamis d’une série d’humeurs variées, Solal passe de l’autre côté du rideau et fait jouer à l’intérieur du morceau des mécanismes qu’on ignorait, découvrant des dissonances inédites ici, intercalant des séquences là. Darn that dream, Our love is here to stay, In my solitude, On a clear day et trois compositions originales (Medium, Bluesine, Chi va piano) forment le cadre des manipulations du maître Solal : jeux de lumières, de cache-cache, de construction, de mécaniques, de contrastes et d’oppositions, rythmes complexes, le tout assis sur une technique à quoi l’âge (Solal aura 80 ans le 27 août 2007) n’a rien enlevé. On aurait peine à conseiller Mirror plutôt que Solitude, ou l’inverse ; à tout prendre, ils ne parlent pas de la même chose, n’offrent pas la même musique ni le même type d’accomplissement, bref, n’ont pas grand-chose à faire dans une même chronique, et ce n’est que par commodité et à la faveur de la simultanéité de leurs parutions qu’on les a rassemblés ici. Si vous aimez le piano solo, vous trouverez en tous cas votre compte dans les deux.