Quand Verhoeven revient au pays, ce n’est pas pour rien. Il retrouve un sujet auquel il s’était déjà frotté dans le passé (Soldier of orange, 1977), la Hollande et la Deuxième Guerre mondiale. Il déniche une descendante à son actrice d’autrefois (l’effrontée Monique van de Ven de Turkish delight, 1973) : une fille du Nord à la peau laiteuse et au nom sucré, la bien nommée et parfaite Carice van Houten. Mais c’est surtout une espèce de sans-gêne et de simplicité sans complexes qui rendent le film imparable. Black book suit le trajet d’une chanteuse juive (Rachel Steinn) qui tente de survivre pendant la guerre. Comme le pianiste de Polanski, Rachel est d’abord un témoin, elle assiste à deux drames et en réchappe par miracle : la ferme où elle se cachait est bombardée, puis toute sa famille est fusillée devant ses yeux. Rachel plonge ensuite dans le feu de l’action : elle rejoint la Résistance, infiltre le milieu nazi et, sous le doux nom d’Ellis, se compromet un peu trop avec un officier allemand.
Dans la lignée de Fassbinder, Verhoeven explore la petite cuisine de la guerre et fait remonter dans son livre noir des histoires pas simples de compromission et de trahison. Mais Ellis la malice a plus d’un tour dans son sac, c’est une femme invisible, elle traverse les époques et les milieux, ressuscite en mangeant du chocolat et s’échappe par la fenêtre. Le côté très « jambes en l’air » de Black book allège le poids de l’Histoire. Pas de sordide ou d’aliénation, le sexe est heureux et la nudité se porte avec insolence. On se souvient de la scène hallucinante où Rachel se passe de l’eau oxygénée sur le pubis pour devenir Ellis (une vraie blonde) tout en discutant Résistance avec un collègue. Décontracté, le film de Verhoeven traite d’espionnage avec jubilation, multipliant les travestissements jusqu’à grimer son héroïne en un grotesque cadavre boutonneux pour berner la Gestapo. Il y a quelque chose de bricolé dans le film, un peu cheap peut-être, mais surtout insolent et drôle, comme dans cette scène invraisemblable où, après la défaite, un nazi tente de s’enfuir en solo dans son petit bateau perdu au milieu de la mer. Mais la comédie grince avec ironie. Passablement éprouvée pendant la guerre, la final girl n’en finit pas moins humiliée sous une douche nauséabonde à la Libération. Comble du sadisme, le dernier plan nous la montre par ailleurs littéralement enfermée dans un kibboutz en Israël comme dans un camp entouré de barbelés et de miradors. Cynique conclusion : on a beau faire, on n’échappe pas à son destin. La guerre s’étend, sans ailleurs et sans après, à tel point que cela semble ne jamais devoir finir. Sous ses airs simplets et peu vraisemblables, ses rebondissements interminables, Black book est un film menaçant et étouffant sur la guerre éternelle, un Starship troopers batave.