Rule of rose, ou comment transformer un jeu apparemment discret en véritable guet-apens… Des trailers à l’ambiance lourdingue, à base de petites filles étranges tout droit sorties d’un conte co-écrit par Sade et Lewis Carrol, d’orphelinat et de zeppelin, dans l’Angleterre de la récession. Des députés UMP sortis de leur réserve pour pointer un doigt accusateur en direction d’un jeu qui ne relèverait rien de moins que du « nazisme ordinaire » (nazisme sans plomb, nazisme super). N’en jetez plus. Il n’en fallait pas autant pour que Rule of rose attire vers lui toute la sympathie du fan de survival qui, depuis Resident evil 4, ne sait plus trop à quel poison ludique consacrer ses nuits blanches.
Gare tout de même aux lendemains difficiles : dès la fin de la superbe cinématique d’intro, c’est un grand coup de pied dans le coccyx et un bond de cinq ans dans le passé qui attendent le joueur. Retour à la belle époque du survival, ses vues en contre-plongée et ses travellings opiomanes, ses protagonistes qui courent à deux à l’heure et se battent avec l’énergie d’un pensionnaire de maison de retraite. Une maniabilité un brin pénible au service d’énigmes du même tonneau : je trouve un journal hyper intime dont il manque des pages… qui me révèlent quelques sombres secrets… qui, comme par hasard, font surgir des monstres contre lesquels je ne peux opposer que ma barre en fer et mon courage. En fait de courage, on devrait plutôt parler d’acharnement tant la maniabilité, lourdingue, avantage les ennemis, visuellement hideux. On continue dans l’élégance avec ces boss fights hilarants, contre des créatures toujours hideuses, qui, en plein pattern, buggent, se figent en statue de cire et se laissent massacrer en laissant échapper des « hein hein aïe » évoquant les grandes heures du porno allemand. Menu « Best of » du survival, l’âge d’or du genre. Ou peut être ses années folles, qui sait. Alors oui, les premiers chapitres de Rule of rose relèvent, au pire, du masochisme soft, au mieux, d’un exercice débile de tolérance à la douleur. Le prix à payer pour atteindre le grand frisson ? N’espérez pas le retrouver dans Rule of rose. Même le parodique Gregory horror show est plus effrayant. Et puis, tout compte fait, pourquoi insister ?
La première raison de continuer Rule of rose, c’est son parfum de madeleine, complètement assumé. Une fragance qui cocotte le jeu d’aventure old school saturé d’items à usage unique mais qu’on conserve tout de même, au cas où, de documents gorgés d’indices plus ou moins voyants -un tic littéraire inactuel, touchant. La deuxième, c’est probablement son indulgence vis-à-vis du joueur : aussi handicapé soit-il par sa maniabilité, Rule of rose ne contraint que très rarement son héroïne à l’affrontement. Parti pris étrange, la plupart des niveaux pouvant être parcourus en évitant les monstres, seuls les boss constituent une véritable gêne à la progression.
Deux exemples parmi d’autres (le soin apporté à l’ambiance, baroque et glaciale, l’importance accordée à la psychologie des personnages…) pour exhumer un cadavre encore frais : celui d’un grand jeu dont les mécanismes les plus intéressants n’ont, bizarrement, jamais été repris, Silent Hill 2. Un mythe, dont la succession pose un vrai dilemme. Car Rule of rose est un jeu daté, horripilant, mais qui se pose en unique ayant-droit d’un héritage jamais réclamé. Bien entendu, il n’a pas les épaules assez larges, mais tout de même. De son interface vieillotte au look pictural de ses monstres, de son side kick canin (plus important qu’il n’y paraît) à sa conclusion onirique, complexe et cruelle, Rule of rose impose une certaine fierté dans la filiation, et sa marque. Celle d’un jeu médiocre au scénario subtil et passionnant qui, en douze heures de jeu, se permet parfois de tutoyer la grâce. Un grand jeu « si seulement ». Un crève-coeur.