Dans un village isolé du Sud-Ouest de l’Inde, près d’un arbre qui fait office d’arrêt d’autobus, un père attend le retour de son fils. Il ne viendra pas. A partir de ce schéma, en apparence simple, le réalisateur indien Shaji N.Karun construit un film nourri de toute la tradition et l’imaginaire de son pays. Le dépouillement formel contraste en effet avec les pesants sous-entendus que charrient les gestes ou l’absence des personnages. Placé en épigraphe, un passage des Upanushads (grand texte sacré de l’Inde) nous éclaire sur l’enjeu réel de l’histoire. Sous la forme d’un dialogue, un père transmet son souffle à son fils, symbole d’une vie qui se poursuit à travers sa descendance. Or, dans Piravi, le fils manque, une absence lourde de conséquence…
Constamment maintenu dans le hors champs, le fils demeure invisible : c’est donc l’inquiétude de sa famille, et plus précisément celle du père, que capte la caméra. Le vieil homme semble imposer au film le rythme de sa marche rendue difficile par le poids des années. Chaque scène se fond dans une lenteur qui nous fait presque oublier leur début et leur fin. En convoquant de sublimes images et des décors épurés, le cinéaste nous invite à une sorte de méditation. A l’instar de la très belle scène du début, notons celle de la première attente du père, à laquelle la musique habilement utilisée confère un lyrisme envoûtant. La force du film réside donc dans son ambiance de tranquille inquiétude. Si la caméra caresse les corps et les paysages en douceur, le drame n’en est pas moins présent. Peut-être la partie la moins réussie du film : celle qui nous explique les raisons de la mort du fils, quand on sort du village pour la ville. Plus politique, moins poétique, le cinéaste plonge soudainement dans la contemporanéité. Une bavure policière à l’égard d’un opposant au gouvernement en place, voilà à quoi est due l’absence. Karun se livre discrètement à une critique sociale un peu déplacée dans l’univers mystique de son film.
Heureusement, cette incursion dans le domaine du quotidien est brève. Et le film reprend le rythme des traversées du fleuve séparant la maison de la famille du village. Un passeur et sa barque aident au franchissement de la rive, tel le passeur du Styx. Car au bout le pessimisme du film point. Suite à la mort du fils, la famille s’écroule, comme si le chaînon vital s’était rompu. Piravi la naissance porte tragiquement le titre de son échec.