Une nouvelle reprise de Porgy and Bess, le classique des classiques, la Bible de George Gershwin, immortalisée par Armstrong et Ella, transformée en or par Gil Evans et Miles Davis ? Ne fuyez pas par principe : Médéric Collignon n’est pas du genre à ne pas surprendre. Connu pour ses éclats de voix, ses écarts trash et ses folies, il s’est attaqué au monument sans irrévérence, à partir de la version de Miles Davis, mais avec l’insolence qu’on imagine. « L’idée de départ était très simple, dit-on du côté du producteur : reprendre la dernière version de l’oeuvre, la repiquer, puis l’arranger ou, plutôt, la compresser pour un quartet d’aujourd’hui relativement classique, contrebasse, batterie, rhodes et cornet de poche / bugle ». Aussi peu vraisemblable que cela puisse en effet paraître à la première écoute, c’est bien un quartet, le « Jus de Bosce » qui est à l’origine de cette espèce d’opéra artificiel et multicolore où, derrière les quatre instrumentistes, s’empilent plusieurs couches enregistrées de trompettes, comme un orchestre de cuivre imaginaire issue d’un seul pavillon, mais en plusieurs temps.
Le résultat ne cesse de surprendre : par l’admirable justesse du jeu de Médéric Collignon, tout d’abord, à la fois puissant et extrêmement délicat, tout en échos et références au chant de Miles Davis (à qui il rend un hommage final en ajoutant aux douze pistes tirées de Porgy and Bess le « Mood » de Ron Carter entendu sur l’album ESP) ; par la réussite du travail d’arrangement (par exemple sur « Fisherman, Strawberry and Devil Crab ») et de construction, dont on suppose qu’il a exigé un travail en studio considérable ; par l’humour permanent dont fait preuve le musicien et par les samples et bidouillages électroniques surprenants grâce auxquels il pimente pertinemment et étonnamment sa partition ; par les voies inattendues qu’il parvient à faire emprunter à ces scies que tout jazzfan connaît par cœur, audacieuses sans être incongrues, intrigantes sans être illégitimes, surprenantes sans verser dans le contresens. Aux côtés du leader, Franck Woeste (Rhodes), Frédéric Chiffoleau (basse) et Philippe Gleizes (batterie), rejoints par Marie Ménand (voix, au pluriel, sur le féerique « Here come the Honey Man), Jus de Bosce, donc, portent le projet à son plus haut point de réussite. La suite les verra s’aventurer sur les terres d’In a silent way, le chef-d’oeuvre sur lequel Miles Davis a franchi le fleuve électrique en 1969. Sur scène, ils le jouent déjà en seconde partie, après Porgy and Bess. On attend le disque avec impatience. En attendant, dites aussi I loves you, Porgy…