Une rencontre au détour d’un aquarium ? C’est le défi farfelu lancé par le label néerlandais Konkurrent en 1996 avec sa série In the fishtank. Pour chaque projet, trois ingrédients de base : une invitation, un poisson, et deux jours de liberté pour s’ébattre dans un… studio (on a failli dire bocal). Parmi les invités de marque de ces dernières années, on peut citer Tortoise et The Ex dans le même bateau (les premiers ayant passé l’invitation aux seconds), Karate, ou encore Low et leurs amis australiens Dirty Three. Quant aux poissons qui ornent le livret, on ne vous dira pas leurs noms. On a compris l’idée : l’aquarium pris à contre-pied devient océan de possibilités.
La dernière rencontre en date met nez à nez le quintet de metal mutant est-coast Isis, qui ne cesse de faire parler de lui depuis qu’Oceanic, sorti en 2002, a été voté album de l’année par le magazine anglais dédié aux musiques extrêmes (sic) Terrorizer, et dont le nouvel opus In The Absence of truth est du reste prévu pour mi-octobre, et le quatuor écossais Aereogramme, lui aussi adepte d’ambiances lourdes et de riffs plombés. Konkurrent en attendait apparemment beaucoup de boucan ; mais c’était certainement sans compter les récentes avancées ambient d’Isis, ainsi que, peut-être, les antécédents de Craig B, leader de Aereogramme, ancien pratiquant du post-rock au sein du groupe Ganger. Ou plutôt, disons que si un des trois morceaux demeure du côté metal des choses (Delial), il ne s’impose pas suffisamment pour conférer une identité au disque. On retrouve les lourds riffs de guitares qui scande quelques rythmiques répétitives, et un soupçon de voix vaguement cryptique, mais tout cela demeure entourée d’une atmosphère quasi éthérée -on sent que le retour du calme n’est pas loin.
Celui d’avant la tempête s’était déjà affirmé en tête d’album, avec Low tide. Sur fond de guitares étirées et d’accords d’un rock presque sucré, on avait été bercé par la douce voix de Craig B. : une ballade pour nous mettre dans le bain. Et si on pensait avoir là affaire à des antonymes, il a bien fallu depuis quelques temps, reconsidérer ces vieilles classifications. La « ballade metal » (non, on n’entend pas par-là les refrains mélos du « néo » metal pseudo-gothique de Linkin Park) semble récemment avoir fait un retour en force, avec le virage atmosphérique d’un groupe comme Isis, certainement, mais encore plus avec des sorties telles que le superbe EP de Justin Broadrick (ex-Godflesh) sorti en 2005, Heartache. A cœur lourd, guitares heavy. Chez Broadrick, le voyage mélancolique se mue en quête épique. Et pour le duo Isis / Aereogramme, l’épique est peut-être aussi l’ultime métamorphose, la synthèse d’une ballade un peu douçâtre et d’un morceau se voulant agressif –Stolen combine la mélancolie de Low tide et l’énergie concurrente de Delial. Ça commence comme une ballade. Ça recommence, on aurait envie de dire : même plan de guitares, même voix éthérée que sur Low tide, on s’endormirait presque. Et puis ça continue, ça s’étire : les voix disparaissent derrière un mur de sons tremblotants et translucides, les guitares gargouillent. Isis et Aereogramme sont lancés, en quête de quoi ? On ne sait pas trop, mais on les suit volontiers.