L’après 14/18, au département psychiatrique d’un hôpital militaire. Antonin a la tremblote, il répète inlassablement cinq noms. Mystère et boule de gomme : les médecins se prennent la tête à deux mains, alors que nous découvrons progressivement le pourquoi du comment, par une subtile anamorphose où l’oeil effrayé du pauvre héros se change en point de vue sensible. D’où cinq flash-back illustrant un trauma guerrier : les pétoches pré-attaques, une blessure au dos, la boucherie de l’infirmerie, le sourire d’une infirmière bien roulée (Anouk Grinberg), le choc de tuer, etc.
Les Fragments d’Antonin est un film schizophrène. D’un côté, il épouse le point de vue objectif d’un poilu et, de l’autre, il tente de synthétiser toutes les grandes manoeuvres de l’Histoire. On sent le labeur du dispositif à chaque plan, et surtout une défiance totale en ses moyens. Il faut voir la manière dont le cinéaste surligne chaque personnage secondaire, en dresse la fiche signalétique : le psy en chef ultra mystérieux (Aurélien Recoing, très lourd), l’infirmière au doigt coupé, le chirurgien pragmatique… Si le portrait d’Antonin s’en trouve dilué, c’est que le dessein de Gabriel Le Bomin consiste au bout du compte à construire une grande frise chronologique où la truculence du détail fait office de chapitrage. Le film s’en trouve ainsi réduit à une longue liste de courses, ou un exposé pédagogique customisé par une caractérisation convenue.
Pourquoi un tel film, pourquoi 14/18 encore et toujours comme sujet phare du cinéma populaire français dont Gabriel Le Bomin se veut l’un des fers de lance ? Par sa complaisance pour les lieux communs (la guerre c’est des choix cornéliens, des obligations, c’est dur et c’est moche, quoi) et son armature criarde et dénudée, Les Fragments d’Antonin apporte plusieurs éléments d’explication. D’une part, on y décèle un plaisir insatiable de la reconstitution minutieuse (avec le souci du détail angélique : Antonin n’est pas un poilu banal, mais un gentil pigeonnier), une envie primaire d’élégance sans but (les draps attachés aux arbres en guise de studio de cinéma, le plan séquence où Aurélien Recoing descend les escaliers). De autre part, un goût immodéré pour le psychologisme, le symptôme, la conviction digne d’un talk show que l’intimité peut incarner tout cliché. Mais pas l’embryon d’un rythme, d’une science du mouvement, d’une pensée filmique. Comme son nom l’indique, le film n’est que fragments et gesticulations.